Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/383

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commettants. Mais il en est partout ainsi ; l’homme, arrivé au faîte des grandeurs, oublie toujours les vils instruments qui l’y ont porté ; et M. Langevin, qui n’est pas du tout une exception aux mortels vulgaires, se venge de la bassesse de son élection en tenant, dans le même statu quo et ceux qui l’ont élevé et ceux beaucoup plus nombreux qui l’ont ignoré.

Que c’est ennuyeux de dire toujours les mêmes choses ! Eh ! morbleu, donnez-m’en donc de nouvelles. Est-ce que nous n’habitons pas également, vous et moi, les villes du Canada, les plus monotones de l’univers ? Y a-t-il ici des théâtres, des cafés, des places publiques, des endroits de réunion où les hommes se rencontrent, échangent des idées et reçoivent le contact quotidien des hommes d’autres pays ? Y a-t-il enfin une vie sociale chez nous ? Y a-t-il même, dans ce pays constitutionnel, une vie publique qui fasse naître des incidents et fournisse des objets dignes d’occuper l’attention ? Non, tout est muré, claquemuré, chacun vit chez soi ; mille tonnerres, mille sabords ! est-ce qu’on ne sortira pas de là avant la fin du monde ? Je me morfonds et je m’étiole dans le vide, je m’entoure de visions, je me crée une vie factice et j’enfante des mondes tout autour de moi, afin de pouvoir me débattre dans quelque chose et d’échapper aux étreintes glacées du néant. Mais crac ! dès que j’ai amoncelé des chimères infinies, que j’ai peuplé ma solitude de fantaisies innombrables, je me retrouve tout à coup tout seul, plus seul qu’auparavant. Par la sang-dieu ! ce n’est pas vivre, cela,