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À LA CAMPAGNE


8 Juillet.


Ô campagne, ô nature, varech, montagnes, sapins, clôtures, moutons, flux et reflux ! Enfin nous avons secoué la poussière de nos semelles ainsi que de nos poumons et de nos lèvres ; nous voilà en plein dans le grand air, dans le souffle des vents qui balayent les fleuves, qui courbent les rameaux et font frissonner les feuilles. Ici on respire, on s’épanouit, on engouffre l’oxigène et l’on boit du lait épais comme de la mie de pain. Les grands coteaux ondulent à la limite des champs, les oiseaux chantent comme au jour de la création, les bœufs et les moutons broutent sur l’herbe que dore et assombrit tour à tour le soleil ou l’ombre ; on voit le grand Saint-Laurent arriver doucement, doucement sur les galets, verdâtre, vaseux, sali comme un coursier qui a traversé les marais et les plaines, bondissant encore quand un obstacle se présente, couvert d’écume et laissant flotter sa crinière sur son cou comme des flots indociles.

Le Saint-Laurent monte pendant cinq heures et baisse pendant six. Pourquoi cette différence ? J’ai beau interroger les plus vieux habitants, ils répondent qu’ils ont toujours vu cela de même et qu’ils n’ont jamais cherché à se l’expliquer. Tirez d’eux autre chose, si vous le pouvez. Pourtant, c’est une chose bien élémentaire que ce phénomène du flux et du reflux.

Des vieux habitants !… Il n’en reste plus guère, et