Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/438

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sa course annuelle à travers la solitude, et, pour mourir, il ne croit pas avoir besoin d’un foyer ou d’un tombeau.

Fataliste sans le savoir, enfant inculte de la nature, il se laisse aller à elle et n’écoute que sa voix sans songer à lui rien demander au delà de ce qu’elle offre. Aussi, lorsqu’il a épuisé le peu qu’elle lui donne, lorsqu’il a tari son sein, avare surtout sous un ciel comme le nôtre, n’a-t-il plus qu’à se résigner et à subir en silence la mort inévitable. Pour vivre il ne veut rien apprendre de ceux dont l’apparition sur le sol d’Amérique a été le signal de la chute de ses pères et de sa propre déchéance. Il se laisse effacer, comme s’il comprenait sa faiblesse devant l’homme armé des forces ingénieusement créées de la civilisation.

Il n’y a pas plus d’un siècle encore, il se battait avec d’autres enfants de la forêt, sauvages comme lui et qui se défendaient avec les mêmes armes grossières, la hache et le javelot, et cela dans un espace illimité dont toutes les tribus réunies n’occupaient qu’une infime portion, comme autrefois nos ancêtres, à nous tous, s’égorgeaient pour la possession des cavernes les mieux à l’abri du mammouth et du rhinocéros velu. L’Indien de nos jours, n’ayant plus à lutter, à longueur de bras, avec des hommes aussi faibles que lui, se laisse détruire en paix par la civilisation qui l’envahit et le circonscrit de toutes parts, dont il prend rapidement tous les vices sans pouvoir acquérir une seule de ses vertus ; il ne lui reste que la dignité ou la résignation du silence. Partout il succombe, laissant le blanc seul debout. Ainsi, rien ne peut arrêter la diminution et la mort des races faibles, condamnées d’avance à cause de leur haine d’une demeure fixe, de leur répugnance pour la