Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/452

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Mais qu’importe ! Supposons que cela fût ; aurait-on remédié au mal en faisant fermer toutes les buvettes ? Non, l’expérience nous montre au contraire que le mal n’est qu’aggravé ; tout le monde se donne la main pour éluder une loi dont chacun sent l’injustice tant que la vente des liqueurs au détail n’est pas absolument prohibée ; les agents de l’autorité eux-mêmes sont souvent obligés de fermer les yeux, quand ils ne vont pas jusqu’à participer au délit, comme cela se voit souvent dans plus d’une ville, et c’est ainsi qu’une loi, faite au nom de la morale et de l’ordre, va directement contre son objet et devient plus immorale que l’absence même de toute loi.

Il est si déraisonnable de défendre aux gens un usage convenable des boissons un jour plutôt que les autres, que personne n’en attribue la prohibition au sentiment de la décence ou de la morale publique : on en cherche le motif dans un besoin pécuniaire et on accuse les conseils de ville de chercher à se faire, par des amendes faciles à imposer, une nouvelle source de revenus. On dit que l’on compte sur la désobéissance des hôteliers et sur celle du public pour faire arriver de temps à autre quelques centaines de piastres dans le coffre municipal ; pour ne pas décourager complètement les hôteliers, on tolérera pendant plusieurs semaines qu’ils éludent la loi, comédie fort pratiquée à Montréal, puis on les frappera tout à coup, on les laissera ensuite se refaire de ce qu’il leur en coûte, et l’on recommencera.

Au lieu de permettre un commerce légitime et mo-