Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/48

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errante. Mais, je me ferai une philosophie intime et j’en doterai vos lecteurs, qui n’y comprendront rien. C’est le meilleur moyen de réussir auprès d’eux.



SOUVENIR DU SAGUENAY


Je vous écris sur un tronc d’arbre, dans la solitude mélodieuse des bois. J’ai pour compagnons l’aimable propriétaire de l’hôtel de Tadoussac. M. Fennall, le vieux Willy, un guide endurci dans mille excursions périlleuses, et une foule innombrable de moustiques qui me communiquent l’inspiration et la rage. Nous sommes partis pour visiter, à quinze milles dans l’intérieur, le premier lac poissonneux dont le vieux Willy a la garde. Tout autour de nous est la forêt, forêt de sapins, d’épinettes, de bouleaux, qui suit dans mille détours la chaîne abrupte des Laurentides ; de distance en distance on aperçoit quelques espaces nus où poussent de maigres champs de blé, essais pénibles des premiers colons qui se sont établis dans ces solitudes.

Il fait chaud, je ne m’en plains pas, puisque c’est la première fois cette année ; l’atmosphère est pleine de molles caresses et le soleil ruisselle parmi les feuilles encore chargées de la pluie des derniers jours. Nous suivons un chemin, ou plutôt un sentier tracé avec peine parmi les ronces, les arbres entrelacés dont les racines se croisent sous les pas, les troncs noircis, déchiquetés et comme frappés de la foudre, image désolante des combats que l’homme livre à la nature. Ça