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libre sans être aussitôt taxé d’hérésie par une petite légion de barbouilleurs aussi ignorants que bornés et prétentieux, qui s’imposent au clergé lui-même, se substituent à son action, lui enlèvent presque sa direction légitime, lui dictent ce qu’il a à faire, décrètent, anathématisent, pourfendent de droite et de gauche, se font l’église à eux tout seuls, et iraient jusque dans le Vatican même pour y interdire le pape.

Voilà l’ennemi qui attend la critique indépendante. D’un autre côté, si elle est sévère, on en accusera l’auteur de jalousie de métier, et si elle est flatteuse sans examen, elle retombera dans la sphère banale des appréciations stéréotypées que vous pouvez lire à la troisième page des journaux. Que reste-t-il alors, en présence d’un pareil état de choses, au véritable homme de lettres, à celui qui, s’il lui manque le talent, a du moins le culte des lettres, le respect de la haute mission qu’elles sont appelées à remplir ? Il lui reste le dégoût et le découragement. À quoi sert, se dit-il, d’étudier, de passer ses veilles dans l’exercice et la culture d’un art qui n’est même pas reconnu ? Et pourtant, cet art est le plus indispensable de tous ; car, sans les lettres, que saurions-nous, que serions-nous tous, messieurs ? Que deviendraient toutes les découvertes, tous les progrès imaginables sans les écrivains qui les font connaître et les expliquent ? Et pensez-vous que l’on puisse indifféremment se servir de tel ou tel langage pour apprendre aux hommes une vérité et la leur faire goûter ? Demandez alors à tous ces grands chercheurs, à ces savants profonds, demandez à Pascal, à Bacon, à Leibnitz, à Descartes, à Arago, à Herschell, à Cuvier, à tous ces découvreurs sublimes, qui furent en même temps de grands écrivains, combien il leur aurait fallu attendre de temps, si la vérité qui jaillissait comme un éclair de leur cerveau n’était pas passée avec le même éclair dans leur style. Ah ! pour l’homme de lettres,