Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/184

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Au fur et à mesure qu’il approche de la colline où se rassemblent les monuments religieux de Chicoutimi, le voyageur, l’œil encore chargé des visions formidables du « fleuve de la mort[1] », éprouve une impression exquise de soulagement. Depuis quelques heures, l’esprit violemment attiré et subjugué, il n’a pu reprendre possession de lui-même ; il a perdu presque jusqu’au souvenir et à l’image des lieux où la main de l’homme a corrigé les rudesses trop violentes et trop absolues d’une nature indomptée, et maintenant qu’il les retrouve, maintenant que les images de la civilisation reparaissent pour lui, son regard s’y attache avec une complaisance avide et son esprit ému les savoure avec reconnaissance.


V


Chicoutimi n’est plus la chétive bourgade, a moitié trempée dans une fondrière, qu’elle était encore il n’y a guère plus d’une vingtaine d’années. C’est aujourd’hui une petite cité très moderne, qui a mis flamberge au vent et qui entend faire parler d’elle. Longtemps immobilisés par l’éloignement, par l’absence de communications rapides, par une position géographique qui équivalait pour eux, l’hiver, à l’ensevelissement, les habitants de Chicoutimi n’avaient jamais rêvé pour leur bourg d’autre avenir que celui qui leur apparaissait dans le cadre étroit d’un chef-lieu de district ; ils n’avaient jamais pu rêver un

  1. On a vu plus haut que le nom de « fleuve de la mort » avait été donné primitivement à la rivière Saguenay.