Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/205

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« C’est toujours bien curieux », disait il y a quinze ans déjà, à l’auteur de ce livre un habitant d’Héberville qui le conduisait au lac Saint-Jean, « c’est toujours bien curieux qu’on soit arrivé à faire un chemin à travers des crans comme ça ; coteille d’un bord, coteille de l’autre, on n’arrive plus… » (Coteille était dit pour côtoyer). Si l’on coteille, au moins on n’enfonce pas ; il n’y a là ni ornières ni boue ni rien qui retarde la marche, et, dans bien des endroits, on contemple avec plaisir la jeune pousse des trembles qui a réussi à dérober sous un épais rideau de feuillage l’aspect toujours le même de rochers, de broussailles et de troncs d’arbres noircis.

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On fait ainsi vingt milles avant d’arriver au Beau-Portage, et quand, le long de la route, on peut saisir quelques aperçus du lac Kenogami au-dessus de la phalange de rochers qui l’interceptent au regard, cela suffit pour compenser toute la monotonie et la sécheresse du paysage. Ces aperçus sont ravissants. On voit au delà de la placide et profonde nappe du lac l’épaisse muraille de montagnes bien boisées, très-accidentées, qui s’élève presque à pic sur la rive sud jusqu’à une hauteur variant de trois à cinq cents pieds, et qui a posé de ce côté une barrière infranchissable à la colonisation. Ces montagnes formaient l’ancien rivage du lac Saint-Jean, et elles ont empêché que le lac Kenogami ne fût rempli par l’alluvion