Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/307

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des chaînons élevés ; ses eaux renfermaient l’épais tribut d’alluvion lentement apporté par les âges, et uniformément déposé sur son lit que rien ne troublait dans les profondeurs où il était étendu. Les rivières qui accourent à lui de tous côtés, celles du nord beaucoup plus considérables que celles du sud, parce qu’elles partent de plus loin, et qui aujourd’hui tombent dans le Lac après une succession de rapides et de chutes, n’étaient comparativement alors que de petits cours d’eau arrivant tranquillement de la hauteur des terres et plongeant avec modestie dans le vaste corps du Lac, comme des tributaires dociles, depuis longtemps rompus au joug et satisfaits. Soudain la terre s’entr’ouvrit avec fracas, depuis l’endroit où est l’embouchure de la rivière Saguenay jusqu’aux rivages actuels du lac Saint-Jean ; les montagnes se fendirent sous l’action de quelque terrible force intérieure, et toute cette mer de 90 lieues de tour se précipita dans la fissure béante. Les montagnes qu’elle tenait ensevelies sous ses eaux découvrirent leur tête baignée de vagues éperdues… et alors, de ces sommets subitement éclos dans l’espace les torrents jaillirent. Ils s’élancèrent affolés, au milieu des précipices ou sur les cimes les plus altières, ne sachant ni où ni comment se frayer un passage, courant dans les ravins, puis tout à coup bondissant sur quelque gigantesque écueil, allant comme une force aveugle, lançant devant eux d’énormes masses d’argile, de sable, de détritus végétaux qui s’attachèrent aux flancs des monts et qui remplirent les gorges béantes. Ils voulurent