Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/308

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combler l’abime étrange, mystérieux, profond, qui s’était entr’ouvert soudainement devant eux ; ils y jetèrent les matières en décomposition que les siècles avaient amassées dans leur sein. Quand ils rencontrèrent des obstacles invincibles, ils rebroussèrent chemin, se cherchant un lit plus facile, pendant qu’au loin les vallées émues et frémissantes retentissaient des échos de leur course furieuse.

Longtemps, pendant des siècles, ils s’épuisèrent sur des chaînons compactes qui leur barraient le passage ; ils les inondèrent de leurs flots irrités, enlevant leurs crêtes qu’ils jetaient ensuite en éclats cent pas plus loin, ou bien les aplanissant, les arrondissant sous le roulis de leurs vagues, les léchant jusqu’à ce qu’elles fussent dépouillées du dernier arbrisseau, de la dernière tige arrêtée dans leurs crevasses ou attachée à leurs flancs ; puis, chargés de tous ces débris, ils allèrent les précipiter dans les vastes anfractuosités des montagnes, dans toutes les profondeurs restées à découvert, semant ainsi partout au hasard les trésors de leur maternité féconde.

Quand le Lac se vit, lui, de grande mer intérieure qu’il était naguère, qu’il était il y avait à peine quelques heures, couvrant d’orgueilleuses cimes, plongeant dans d’insondables abîmes, réduit à n’être plus pour ainsi dire qu’un étang en présence de ces énormes rivières qui, la veille encore, venaient lui demander humblement un asile dans son sein, et qui, maintenant, se précipitaient sur lui comme pour l’accabler de sa déchéance, il essaya une