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« office » pour le règlement des comptes, et un « store, » c’est-à-dire un magasin de provisions. Il y a de cela à peine un an, et déjà tout a disparu, campe, office, store, Italiens, punaises, et l’œil n’y contemple plus guère que la noire image de la désolation répandue sur les troncs d’arbres moississants. Encore un an, et l’on ne pourra même plus retrouver l’emplacement où était la « North Pole House »… C’est ainsi que vont et que s’en vont les choses dans notre pays si arriéré.

Nous voilà maintenant engouffrés dans les derniers contreforts des Laurentides, sur le versant septentrional de la chaîne. Partout, à droite, à gauche, devant, derrière nous, des gorges profondes, des ravins, des précipices, d’énormes entassements de granit, des massifs qu’on ne voyait pas l’instant d’auparavant et qui surgissent tout à coup devant le regard, comme s’ils nous attendaient pour fondre sur nous, grondant et mugissant à chaque appel du sifflet de la locomotive, comme si les échos, subitement éveillés dans leurs antres formidables, se menaçaient et se choquaient tous ensemble à la fois.

Dans ce désordre inexprimable et magnifique de la nature, le chemin de fer accomplit toute sorte d’évolutions, comme les contorsions d’un géant, et la belle rivière Batiscan, qu’on vient d’apercevoir, rayant dans sa course le pied des massifs, semblable à une couleuvre effrayée, précipite ses eaux qui, profondément pénétrées des sombres reflets des bois, semblent d’un noir lustré. Elle court, se retourne, échappe, glisse, s’enfuit, revient, agitant, frémissante, sa robe