Page:Buisson, Rapport fait au nom de la Commission de l’enseignement chargée d’examiner le projet de loi relatif à la suppression de l’enseignement congréganiste - N°1509 - Annexe suite au 11 février 1904 - 1904.pdf/18

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C’est nous-mêmes qui forgeons la fausse personnalité de la congrégation en lui sacrifiant les véritables personnalités que nous l’autorisons à réduire à l’état de congréganistes.

Sans doute, pour dégager la responsabilité des pouvoirs publics, on fait valoir qu’aujourd’hui l’Etat ne s’engage plus à prêter main-forte à la congrégation pour empêcher la fuite des congréganistes.

Mais est-ce assez, et la conscience ne réclame-t-elle rien de plus ? De cela même que l’État s’interdit seulement cette poursuite par les gendarmes, il semble résulter qu’il accepte tous les autres moyens de coercition, nécessaires, il le sait bien, à vie de la congrégation. Puisqu’il passe contrat avec elle et contrat sans terme, il donne donc son consentement tacite aux procédés par lesquels elle se maintient. Il ne se charge pas de garder pour elle ses serfs à l’état d’obéissance, mais c’est qu’il compte sur elle pour les y tenir ; il compte sur elle pour attirer, pour enlacer, pour subjuguer les âmes capables de s’éprendre de l’idéal monastique ; il compte sur elle ensuite pour les retenir par l’habitude, par la peur, par l’usure même de la volonté, par l’impuissance finale de se reprendre, et en dernier lieu, si l’on en vient là, par l’impossibilité matérielle à peu près absolue de sortir du couvent sans tomber dans la rue et dans la misère. Car la congrégation, qui a choisi ses « sujets », les a faits à la longue tels qu’il les lui faut : elle les a faits d’abord pieux jusqu’à l’exaltation, croyants jusqu’à la crédulité, dociles jusqu’à la peur, obéissants jusqu’à la passivité ; ensuite elle en a fait des sans-famille, qui ont rompu avec celle qu’ils avaient, et qui frémissent d’horreur à la pensée de s’en faire une autre ; et enfin elle en a fait des pauvres, de vrais pauvres au sens le plus dur, car non seulement ils lui ont donné tout ce qu’ils avaient, mais ils ont perdu même l’habitude, même l’idée de gagner leur vie par le travail, ils n’ont plus qu’à rester et à mourir, s’ils n’ont pas le rare courage d’aller affronter à la fois la persécution de certains cléricaux féroces et la méfiance presque aussi féroce de certains laïques pour le « défroqué ».

Nous ne demandons pas à l’État de libérer malgré eux les congréganistes, encore que cette prétention fût des plus soutenables. Mais, tout au moins, nous lui demandons de ne pas participer à l’opération, notamment en se servant d’eux comme éducateurs de la jeunesse.

Cette exploitation des congréganistes par la congrégation est une entreprise dont il ne doit partager les bénéfices sous aucun prétexte, même sous celui d’en faire profiter la société.

Au fond, si l’État s’est prêté pendant longtemps et peut-être volontiers se prêterait encore à cette reconnaissance légale des congrégations, c’est, il faut le dire, en raison des services qu’elles lui ont