Page:Buisson, Rapport fait au nom de la Commission de l’enseignement chargée d’examiner le projet de loi relatif à la suppression de l’enseignement congréganiste - N°1509 - Annexe suite au 11 février 1904 - 1904.pdf/21

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ment obligatoire, ni pour les individus ni pour les collectivités civiles. La conscience publique s’en déchargeait sur l’Église. Elle lui laissait notamment le soin de trouver, de susciter, d’organiser des volontaires de la charité pour se dévouer à ces bonnes œuvres.

L’Église fit de ce genre de dévouement l’office propre d’un certain nombre de communautés, confréries et congrégations des deux sexes ; et en leur faveur elle demanda le seul mode de rémunération que comportât l’ancien régime, leur institution en corporations dotées d’une certaine somme de revenus, de franchises et de privilèges. Ainsi fonctionnait en tous les domaines l’ancienne société : elle ignorait les fonctionnaires, elle ne connaissait que des bénéficiaires. Tous les services que nous appelons aujourd’hui services publics étaient jadis administrés de la sorte, c’est-à-dire affermés.

Des tiers, prenant l’entreprise à forfait, agissaient sous leur responsabilité au lieu et place de l’État ; l’État ne les payait pas, mais les laissait se payer eux-mêmes ; ces intermédiaires intéressés recrutaient pour lui des soldats, recueillaient pour lui des impôts, exploitaient pour lui les péages et les postes, administraient pour lui la justice, disposaient pour lui de tout ce qui peut se vendre ou se donner. Les corporations furent pendant de longs siècles les rouages mêmes de la société. Dans un tel système, les corporations religieuses n’avaient rien, ni de plus insolite, ni de plus abusif que les autres ; elles ne s’en distinguaient que par le respect qu’inspirait leur caractère religieux, la pauvreté volontaire de leurs membres et la sainteté de vie de beaucoup d’entre eux.

Mais plus cette organisation se comprend dans l’ancien régime, dont elle fait partie intégrante, plus elle doit surprendre dans le nôtre. Depuis 1789, tout le système corporatif préposé à la gestion des divers intérêts publics a disparu : du jour où la société a voulu faire ses affaires elle-même, elle a compris la nécessité d’avoir ses agents propres, de les nommer, de les salarier, de les gouverner : charges et bénéfices, monopoles et privilèges sont remplacés par des fonctions publiques correspondant à toute la variété des besoins sociaux dont l’État assume la charge.

Les deux derniers de ces services dont l’État se soit chargé enfin ou du moins qu’il ait accepté de garantir et au besoin de doter, ce sont l’instruction et l’assistance publiques. Aussi est-ce dans ces deux domaines qu’a survécu, plus longtemps qu’ailleurs, l’habitude de compter sur les corporations et de continuer à s’en servir.

La Révolution, il est vrai, avait d’emblée supprimé les corporations religieuses au même titre que les autres pour y substituer la seule autorité collective qu’une démocratie puisse laisser agir souve-