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par intervalles, par éclairs, le génie se révélait. Le premier soir, dans Adelaïde du Guesclin, son jeu ne paraît nullement supérieur au jeu des bons acteurs hollandais ; mais à deux moments, il força l’admiration : au troisième acte, lorsque, s’emportant contre. Adelaïde, il demande, en entendant la voix de son frère : « Et pourquoi vous, mon frère, osez-vous l’excuser ? » et, vers la fin de la pièce, au moment de la fameuse réplique qui avait prêté à de si méchants bons mots : « Es-tu content, Coucy ? » De même dans Jphigénie, Talma, bien qu’excellent, ne surpassait pas l’acteur hol- landais Passé, par qui Jelgerhuis avait vu jouer Achille dans sa jeunesse ; mais au quatrième acte, la colère conte- nue du tragédien français était admirable.

Ce qui frappe tout particulièrement — et la remarque a du prix, venant d’un professionnel — c’est l’imprévu de ce jeu. Jelgerhuis avait fini par se promettre de ne plus parler du jeu des autres acteurs : tous leurs rôles étaient pareils ; d’avance on pouvait deviner ce qu’ils en feraient ; Talma seul étonnait toujours par des choses nouvelles. Cette originalité tenait peut-être, pour une part, à certaines par- ticularités physiques : Jelgerhuis remarque chez lui une chose qu’il n’avait jamais vue. La figure de Talma pâlissait pour manifester la souffrance morale ; on avait pu cons- tater le fait dans le rôle d’Oreste comme dans celui de Vendôme ; c’est probablement pour tirer parti de cette disposition que le tragédien mettait peu de rouge.

Mais le plus intéressant est, sans conteste, sa technique très particulière de la déclarnation ; Talma parle sotto voce, ce qui doit contracter singulièrement avec les « criailleries » de sa partenaire Duchesnois. Dans Adelaïde du Guesclin,


ses monologues à voix basse sont remarquables ; il a vrai- ment J’air d’être seul, sans spectateurs même ; la passion de sa colère sans éclat est « unique à force d’être naturelle » ;