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BULLETIN DU COMITÉ

il m’apparaît, dis-je, que le souvenir de ce grand citoyen avait sa place marquée dans cette superbe manifestation et je salue en votre nom la mémoire de Jules Ferry. (Applaudissements répėtés.)

En terminant, Messieurs, je porte, au nom de la brillante assistance qui m’entoure et de tous les groupes coloniaux représentés ici, la santé de M. Doumer et celle de M. Bean. (Longues acclamations et applaudissements prolongés.)

Discours de M. Paul Doumer.

  Messieurs,

Je tiens à exprimer tout d’abord ma reconnaissance aux membres du Parlement, à mes anciens collègues, à ceux qui sont ici, ou qui n’ont pu y être et dont beaucoup se sont excusés, de la chaude sympathie qu’ils ont bien voulu me témoigner à mon retour en France. Je remercie aussi tous les coloniaux qui ont répondu en nombre à l’appel de M. Étienne. Quand mon éminent ami m’a parlé de ce banquet, il m’a dit qu’il s’agissait que d’une petite réunion d’hommes s’occupant des affaires coloniales et devant lesquels, dans l’intimité, on pourrait parler des choses de l’Indo-Chine. Cette intimité s’est quelque peu étendue et j’aurais mauvaise grâce à traiter ici de questions complexes qui ne seraient peut-être pas de nature à intéresser les nombreux convives de ce banquet, si versés qu’ils soient dans les questions coloniales. Je me bornerai donc, Messieurs, après vous avoir exprimé à tous ma vive reconnaissance, à vous donner l’assurance que la France peut être fière de sa belle colonie indo-chinoise. (Applaudissements.)

Nous avons là-bas une colonie grande et puissante. ajoutant déjà quelque chose à la puissance de la France en Extrême-0rient, une colonie qui n’a plus besoin de faire appel aux ressources de la métropole et qui, après des débuts difficiles, a pu, en organisant son gouvernement, rendre sa situation financière non seulement prospère, mais absolument brillante. (Applaudissements répétés.)

Nous avons pu, en effet, en quatre années, combler ce qui restait de déficit avec des excédents constants qui ne se sont jamais démentis, à tel point qu’au 1er janvier 1901, quand les comptes ont été arrêtés, nous avions 23 millions et demi dans notre caisse de réserve. (Vifs applaudissements.)

Et cependant, pendant cette période, nous avons transformé les conditions de nos dépenses. Au lieu de faire surtout des dépenses de pure administration, nous avons employé nos ressources en travaux publics, en travaux de mise en valeur du pays, nous avons créé tout un outillage économique. Grâce à la richesse naissante de la colonie, à ses ressources qu’il suffisait de dégager, nous avons pu lui donner le moyen de faire face aux dépenses considérables qu’exigeait la création de cet outillage économique, au moyen de ses revenus ordinaires. Nous avons pu aussi – il y a ici des industriels qui ont coopéré à cette œuvre — faire de grands travaux d’irrigation, des travaux ports et de ponts, qui sont en train de transformer l’Indo-Chine ; nous avons pu enfin gager cet emprunt de 200 millions dont l’annuité figure déjà à notre budget, bien que l’emprunt ne soit pas totalement réalisé, et qui nous permet de créer ce vaste réseau de chemins de fer — je dirai ce premier réseau — qu’on m’a reproché de faire trop grand dès le début, alors que déjà nous constatons ses lacunes et que nous étudions le moyen de le compléter. (Applaudissements.)

La situation financière peut donc se résumer ainsi : excédents qui s’élèvent chaque année à 7, 8 et 10 millions de francs ; réserve considérable qui nous permettrait de faire face à toutes les éventualités, à de grandes entreprises nouvelles, en dehors des travaux gagés sur nos ressources ordinaires. J’ajoute qu’il y a aussi un gouvernement qui s’organise.

M. le ministre des colonies retrouverait dans ses archives le rapport que je lui adressai, lorsque j’arrivai en Indo-Chine, il y a quatre ans passés. Je lui disais alors qu’en fait de gouvernement général, il y avait bien le gouverneur général, parce que je l’apportais avec moi, mais que les organes constitutifs d’un gouvernement étaient totalement absents, que c’était là une création à faire de toutes pièces, une de celles auxquelles il fallait d’abord s’appliquer.

Et en même temps que nous organisions le système fiscal, nous organisions le gouvernement général dont j’ai le plaisir de voir au milieu de nous quelques-uns des mes meilleurs collaborateurs. Le conseil supérieur, les grands services techniques ou administratifs aident aujourd’hui le gouverneur général dans sa tâche ; ils apportent l’ordre et la méthode qui font, plus que tout, la richesse des États. (Vives marques d’approbation.)

Si nous avons pu faire tout cela, c’est du pays s’achevait dès l’année 1897, et dans des conditions qui font le plus grand honneur à ceux qui en étaient les artisans. Ceux-là exécutaient une politique qui ne rapporte ni décorations ni galons, mais qui amène la pacification dans les esprits et le bien-être qu’elle procure aux populations et qui établit une paix définitive. (Applaudissements.) Et si je puis éprouver parfois un sentiment d’orgueil, c’est quand je constate que depuis quatre années il l’est pas un seul soldat français qui ait été tué sur le territoire de l’Indo-Chine. (Vifs applaudissements.)

Dans les premiers mois de l’année 1897, les rapports militaires que je transmettais à M. le ministre des colonies formaient encore des volumes assez importants. Ils contenaient le récit d’opérations exécutées sur divers points de la colonie et même pas très loin d’Hanoï ; des bandes de pirates s’avançaient encore jusque dans les provinces du Delta. Aujourd’hui, ces rapports militaires se bornent à la mention bien connue des marins, après une journée de beau temps : « Rien de nouveau. » Depuis trois ans et demi, ils se réduisent à une simple feuille de papier sur laquelle le général en chef constate, en une phrase pour ainsi dire stéréotypée, que le situation militaire est bonne d’un bout à l’autre de l’Indo-Chine et qu’aucune expédition militaire n’a dû être engagée. (Très bien ! Très bien ! — Applaudissements.)

Messieurs, s’il est possible, sans être un financier remarquable, de savoir quelles seront les conséquences d’une réforme fiscale poursuivie avec méthode et persévérance, il est plus difficile de calculer ce que produiront les travaux publics qui sont entrepris dans la colonie, la sécurité qui est désormais assurée, les moyens de transport et de circulation qui sont mis à la disposition de l’Indo-Chine et d’évaluer le développement de la richesse et de la prospérité qui en résultera.

Cependant, les résultats déjà acquis permettent de se rendre compte des conséquences de cette politique administrative, financière et économique.

On a souvent parlé à la Chambre des députés du commerce de l’Indo-Chine. Dans les dernières années qui ont précédé 1897, ce commerce oscillait entre 200 et 220 millions. Depuis, il est arrivé, par bonds successifs et presque réguliers de 60 millions environ d’augmentation chaque année, au chiffre total de 471 millions en l’année 1900. (Vifs applaudissements.)

Messieurs, la critique est toujours aisée, mais ici les chiffres ne s’y prêtent pas ; ils sont incontestables et la malveillance, si grande qu’elle soit, ne trouve rien à redire. Alors, M. Étienne vous l’a dit, on est allé répétant — c’était moins facile à vérifier — que la population indigène se désaffectionnait de nous : À cet égard, je vous prie de croire que j’ai peut-être quelques raisons