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BULLETIN DU COMITÉ

le canon contre les Célestes dans le Petchili, en pleine province chinoise du Kouang-si, on nous recevait au milieu des plus belles fêtes ; nous nous y rendions sans troupes, sans armes, dans la sécurité complète que nous donnaient nos relations avec les mandarins de la frontière tonkinoise. (Nouveaux applaudissements.) Grâce à leur concours, nos soldats n’ont même pas eu à repousser l’attaque d’une bande de Chinois. Les Chinois se battaient entre eux pour nous. Il me semble que cette politique en vaut bien une autre. (Rires et vifs applaudissements.)

Mais, pendant que nous avions un cordon de troupes sur notre frontière, que d’autres troupes dans le nord de la Chine, il nous restait peu de soldats en Indo-Chine. Il en restait si peu, qu’à une heure donnée, quand un de mes meilleurs, des plus dévoués et disciplinés collaborateurs, le général Borgnis-Desbordes, est mort, il ne nous restait — je vous demande pardon de citer ce détail — que quatre mulets pour le transporter, et encore la seule raison pour laquelle ils n’étaient pas partis en Chine, c’est qu’ils étaient malades.

Malgré tout, j’avais dit à M. le ministre : « Vous pouvez être tranquille ; que la France fasse les opérations qu’elle juge nécessaires, qu’elle dispose des troupes qui sont en Indo-Chine, il n’y a rien à redouter dans ce pays ; la paix et la sécurité seront parfaites jusqu’à ce que de nouvelles troupes viennent remplacer celles qui seront parties. » Pas un seul moment je n’ai eu l’ombre d’une inquiétude.

Les généraux qui se sont succédé, quand que je leur enlevais un bataillon pour l’envoyer au port d’embarquement, me disaient parfois : « Vous ne craignez donc rien ? Nous n’avons plus de troupes sous la main. » Je leur répondais : « Dans l’état de santé économique où est l’Indo-Chine, tranquillisez-vous. L’état de santé économique amène l’état de santé politique. Rien ne bougera ; vous n’avez rien à redouter. » (Applaudissements répétés.)

Messieurs, nous pouvons être, en effet rassurés ; l’Indo-Chine n’a pas dit son dernier mot. Lorsque, dans un temps que je vois apparaître à brève échéance, je laisserai à l’homme que le gouvernement aura choisi le soin de diriger les affaires de cette grande colonie, je le ferai en toute confiance. Les résultats financiers et les résultats que nous constatons aujourd’hui, nous les avons obtenus, je puis le dire, dans la période des sacrifices, à un moment où toutes nos ressources vont à ces grands travaux dont je vous entretenais, à ces chemins de fer dont le réseau partiel est encore en construction. Oui, c’est pendant cette période de sacrifices que nous avons obtenu et ces résultats financiers, et ces résultats commerciaux que je rappelais.

Mais vous pouvez m’en croire, vous aurez dans cinq ou six ans d’heureuses surprises, lorsque ces grands travaux seront terminés, lorsque le réseau de voies ferrées permettra aux produits du pays de se rendre facilement aux ports d’embarquement. Les résultats que l’on constatera laisseront bien loin derrière eux ceux que nous avons pu de chose, et lorsque je viendrai à mon tour m’asseoir à cette table, dans un banquet destiné à fêter mon successeur, j’ai la certitude que le nombre de millions qu’il pourra vous citer, comme représentant le commerce de l’Indo-Chine, m’obligera à rester à ma place et à ne plus oser rappeler les chiffres que viens d’indiquer aujourd’hui. (Rires et applaudissements.)

L’Indo-Chine, en très de temps, aura atteint le but que nous poursuivons ; elle ne paiera pas seulement les dépenses qui lui sont propres, elle les paie déjà et au delà ; elle paiera encore ses dépenses militaires. Elle en paie déjà 12 millions, il faut qu’elle en paie beaucoup plus ; elle doit arriver à payer la totalité de ces sortes de dépenses.

Le rôle de l’armée en Indo-Chine est aujourd’hui différent de ce qu’il était autrefois ; ce n’est plus une armée ayant sa base d’opérations sur la mer, ayant ses magasins, ses approvisionnements dans nos ports. Nous lui avons substitué une armée faisant front sur toutes les frontières de l’Indo-Chine, ayant sa base d’opérations à l’intérieur, se préparant à défendre le pays non pas contre ses ennemis asiatiques, mais contre tous les adversaires que la France pourrait rencontrer en Extrême-Orient. (Applaudissements et bravos.)

Cette œuvre a été poursuivie pendant ces quatre années et je m’en félicite — avec un parfait esprit de suite. Les plans une fois arrêtés, les généraux et les amiraux ont pu passer dans le conseil de défense ; le président de ce conseil ne changeait pas et veillait à ce que le plan fût développé et exécuté dans son entier. Aussi pouvons-nous dire aujourd’hui que si tout n’est pas fait, l’Indo-Chine n’est déjà plus une proie facile pour qui serait tenté de la prendre. (Vifs applaudissements.)

Il m’apparaît que l’œuvre du gouvernement général, c’est d’organiser rapidement en Indo-Chine, aux frais de la colonie, l’armée nécessaire à sa défense extérieure dans toutes les éventualités, l’armée nécessaire à la politique de la France en Extrême-Orient. (Très bien ! Très bien ! )

Mais l’Indo-Chine ne servira pas seulement les intérêts politiques de notre pays dans ces contrées ; elle sera aussi un débouché pour les produits de la métropole. Déjà à l’heure actuelle, quelques milliers d’ouvriers travaillent pour elle sur le sol natal. MM. les membres des Chambres de commerce dans certaines régions, surtout en Normandie et dans les Vosges, pourraient nous dire combien d’ouvriers fabriquent déjà des tissus destinés à l’Indo-Chine. Vous pourriez constat aussi que dans nos établissements métallurgiques, si le chômage qui suit toute Exposition universelle n’est pas plus important cette année, c’est que de nombreux ouvriers sont occupés à des travaux de fer pour l’Indo-Chine, C’est un débouché commercial et industriel qui grandira tous les jours.

Car la France doit être — cette nombreuse assemblée le montre — une nation colonisatrice. Je crois qu’on a quelque peu médit, même dans le Parlement français, dans ces derniers temps, de la la colonisation, de ce qu’on appelle encore parfois, avec ironie, l’impuissance civilisatrice de la France dans les pays neufs. Ceux qui parlent ainsi sont ceux qui veulent tirer d’un fait particulier une conséquence générale, et qui, ayant vu un incident ou un accident, croient que c’est là l’état normal de la colonisation. (Très bien ! Très bien ! )

Non ! l’introduction de la civilisation française chez les peuples que nous avons conquis n’est pas une chose mauvaise ou même simplement inutile, C’est une grande et belle tâche que les peuples assument lorsqu’ils colonisent. Nous savons ce qu’était l’Indo-Chine quand nous y sommes arrivés, nous voyons ce qu’elle est aujourd’hui. Nous avons donné à ce pays ce que nous procurons partout quand la période difficile de la conquête est terminée, la sécurité avant tout pour les personnes et pour les biens, sécurité que ces peuples ne connaissaient pas parce qu’ils n’avaient pas de gouvernement puissamment organisé, qu’ils se battaient perpétuellement entre eux, qu’ils étaient la proie de bandes de pirates ou de petits tyrans locaux.

C’est aussi la justice que nous leur apportons, une justice haute et sereine, qui ne se laisse détourner de ses devoirs par aucune considération de personne et par aucune tentation. C’est une justice que les indigènes apprécient, je vous l’affirme.

Nous leur apportons enfin comme je l’ai dit, le moyen de combattre les forces mauvaises de la nature. L’homme n’est pas armé contre elles dans les autres continents comme nous le sommes dans notre Europe civilisée : il est leur jouet ; il est faible et tremblant devant elles ; il