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DE L’ASIE FRANÇAISE

devient fort et courageux du jour où nous lui apportons les armes de la civilisation.

Ce n’est pas là, Messieurs, une vue de l’esprit, c’est la réalité même des faits, Partout où la civilisation française s’établit, on voit l’homme devenir le maître de la nature, employer à son usage ces forces qui lui étaient hostiles et qu’il a domestiquées.

C’est là, Messieurs, ce que vous constaterez partout, et particulièrement dans notre Indo-Chine. Mais je n’ai pas besoin de plaider ici la cause de la colonisation.

Si vous croyez, comme nous, que la colonisation est un bien, j’ajouterai qu’elle est une nécessité. Je crois que la race blanche arrivera peu à peu à faire cette œuvre d’éducation du monde qu’on appelle la colonisation. Il s’agit de savoir si, dans cette œuvre qui marquera à chacun sa place sur la terre, la race française aura sa part ; il s’agit de savoir si elle est, comme quelques-uns semblent le dire, une race amoindrie, si elle n’est plus la race puissante et vigoureuse qui a marqué autrefois profondément son empreinte sur l’Europe ; il s’agit de savoir si la France n’est plus la grande nation qu’elle a été à travers les siècles.

C’est là, en quelque sorte, la question même de la colonisation. Si nous sommes restés, comme je le crois, — j’ai une foi profonde dans les destinées de ma race, — les dignes descendants des Français d’autrefois, si la France est restée une grande nation, elle a des devoirs à remplir dans le monde. (Vifs applaudissements.) Elle a le devoir de défendre ses intérêts, parce que ses intérêts sont liés à l’éducation qu’elle doit faire parmi les hommes. Il est donc nécessaire que nous nous imprégnions de ce grand devoir et que nous ne disions pas que nous sommes arrivés à la limite extrême de nos forces. Non ! L’Europe, en Asie surtout, sera appelée, dans un avenir prochain, à assumer une nouvelle tâche, car un réveil de la barbarie en Chine serait un péril pour le monde entier. De cette tâche nous devons prendre notre part. Nous devons vouloir que la France soit ce que, grâce aux conquêtes qu’elle a déjà faites, elle commence à être, une grande nation asiatique, comme elle est une grande nation africaine. (Applaudissements.)

Messieurs, je n’ai pas à traiter plus amplement ces questions. Vous me comprenez et vous pensez avec moi que les limites de l’influence de la France ne sauraient être arrêtées, qu’elle est une grande nation civilisatrice, l’égale de toutes les autres, et qu’elle a pour devoir de défendre partout résolument ses intérêts, son action, son développement et son rayonnement dans le monde. C’est à sa grandeur que je bois. (Applaudissements répétés et bravos prolongés. — Vives acclamations.)

Discours de M. Paul Beau.

  Messieurs,

Je dois tout d’abord remercier notre président, M. Étienne, des paroles si aimables mais trop élogieuses qu’il a bien voulu m’adresser.

Vous avez eu le bonheur, mon cher président, de pouvoir puiser jadis largement à ces deux sources d’énergie, d’enthousiasme et d’éloquence que furent Gambetta et Jules Ferry, vos maîtres et vos amis, et depuis lors vous vous êtes fait parmi nous l’échanson de tous ceux, soldats, explorateurs, consuls, diplomates comme moi, qui partaient pour les missions lointaines et auxquels vous savez verser, à l’heure toujours pénible des adieux, le vin généreux de votre éloquence passionnée et si convaincante. (Applaudissements.)

Vous venez de me le verser, à mon tour, et je vous en exprime toute mon affectueuse reconnaissance.

Messieurs, c’est qu’en effet, pour être sans périls, la tâche qui m’est confiée est hérissée de trop de difficultés, elle est d’une trop grande importance pour les intérêts généraux de la France pour que je ne sente pas, au moment où je vais l’assumer, un peu d’inquiétude sur mes forces et sur les moyens que j’aurai de les élever à la hauteur de mon ambition.

Les événements qui se déroulent en ce moment en Extrême-Orient compteront parmi les plus considérables de l’histoire du monde, et l’on peut se demander si l’ouverture de la Chine n’aura pas des conséquences peut- être plus importantes que n’en eut jadis la découverte de l’Amérique.

La Chine est encore aujourd’hui un pays fermé. Nous y avons installé, je parle des Européens, quelques comptoirs sur ses confins maritimes ; nous y vivons entre nous, presque sans contact avec la vie chinoise ; autour de ces concessions européennes grouille une population de marchands chinois qui viennent apporter les produits de leur pays et emporter ceux du nôtre. Dans l’intérieur nous n’avons fait qur passer. Missionnaires, explorateurs, commerçants, soldats, sont venus puis repartis, laissant tantôt des ruines, tantôt des œuvres jusqu’ici aussi éphémères, hélas ! les unes que les antres ; et derrière ces missions, ces explorations, ces expéditions, on voyait se refermer le grand océan jaune comme on voit se refermer la mer sur le sillage d’un navire. (Applaudissements.)

Aujourd’hui, Messieurs, le monde civilisé n’entend plus laisser à l’état d’isolement les richesses que renferme l’extrémité du continent, et nous allons assister, après l’ère purement commerciale que je viens de décrire, à l’ère industrielle. La Chine va donc s’ouvrir : nous allons voir cet immense réservoir d’hommes, plusieurs centaines de millions de travailleurs, s’attaquant à un énorme réservoir de métaux précieux ou utiles, le fer, le charbon, le pétrole, d’une abondance peut-être égale à celle de l’Amérique et de l’Europe réunies. Que deviendront les conditions économiques du monde lorsque cette main-d’œuvre et ces matériaux seront exploités par le génie des races blanches ?

Je ne suis pas de ceux qu’effraie le « péril jaune » et qui recherchent les moyens de le combattre ou de l’écarter. L’ai entendu un jour M. Cochin dire à un autre membre de la Chambre des députés : « Vous auriez donc empêché Christophe Colomb de partir ? » Cette parole est vraie, Messieurs ! L’Amérique se serait toujours ouverte, comme s’ouvrira la Chine, quoi que nous puissions faire, et elle s’ouvrira parce qu’il est impossible d’élever devant l’humanité qui qui veut prendre possession de toute la planète je ne sais quelle muraille dérisoire, derrière laquelle resteraient inexploitées des richesses comme celles du continent asiatique. (Applaudissements.)

La Chine finira donc par s’ouvrir et, me plaçant au même point de vue que M. le gouverneur général de l’Indo-Chine, je crois que la France doit y avoir la place qui est due à son passé, à son génie et à sa richesse. (Vifs applaudissements.)

M. le gouverneur général de l’Indo-Chine vient de nous exposer en termes éloquents la prospérité de cette grande colonie. Il prêchait un peu pour son saint quand il nous disait : « Envoyez-moi des colons, c’est l’Indo-Chine qu’il faut coloniser, dont il faut développer la prospérité. » Moi qui vais plus au nord de l’Asie, je le supplie de ne pas garder pour lui seul tous les Français qui auront envie de s’expatrier. Laissez-les s’installer à Canton, à Changhaï, à Han-kéou et jusque dans le Sé-tchouan ; laissez filtrer vers moi quelques-uns de ceux que l’esprit d’aventures poussera dans ces lointaines ! (Très bien ! Très bien ! )

C’est qu’en effet il me parait essentiel que la France reprenne ses traditions et marche, elle aussi, après de trop longs retards à l’assaut de ces marchés nouveaux qui vont s’ouvrir. Je ne voudrais pas, — je m’excuse de parler ainsi devant une assemblée de coloniaux, — qu’après s’être trop longtemps enfermé derrière la muraille du protectionnisme métropolitain, on s’enfermât encore derrière une autre muraille de protectionnisme colonial.