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BULLETIN DU COMITÉ

Installée à Hong-kong, elle a fait ouvrir Outchéon-fou, à l’entrée du Kouang-si, au commerce tranger, elle cherche à faire pénétrer par le Sikrang son commerce et son influence jusque dans les régions voisines du Tonkin. C’est une voie d’accès dont nous ne devons d’ailleurs pas lui laisser le monopole, tout en nous occupant de celles qui dépendent plus directement de nous. Le 9 juin 1898, elle a obligé la Chine à violer la déclaration d’inaliénabilité qu’elle nous avait adressée en ce qui concerne les trois provinces limitrophes. Il s’agissait d’ailleurs, en l’espèce, d’une partie du Kouang-toung qui échappe certainement à notre influence ; c’est derrière Hong-kong que l’Angleterre a empiété : elle s’est fait donner sur la terre ferme, au nord de son grand port chinois, « l’extension de Kao-loung », soit 1.032 kilomètres carrés avec 100.000 habitants. Bientôt après, elle a complété cette belle concession en exigeant le droit de construire un chemin de fer de Kao-loung à Canton. Enfin, un des rêves de l’impérialisme britannique est de faire parvenir les chemins de fer de Birmanie jusqu’au Sé-tchouan, par le Yunnan. Cette route anglaise de pénétration couperait donc la nôtre. Il est vrai que, pour une fois, le terrain nous a réservé plus de chances qu’à l’Angleterre : entre la Birmanie et le Sé-tchouan s’étendent les pays les plus pauvres, les plus infranchissables du Yunnan, la série de doigts montagneux qui semblent prolonger la main thibétaine jusque dans l’Indo-Chine.

L’Angleterre se voyant inévitablement devancée de ce côté a même été fort habile. Comme en 1890 sur le Niger, en 1896 dans la Chine du Sud-Ouest, à l’époque où notre diplomatie fut si brillante, elle a fait renoncer par avance des rivaux plus avancés ou plus heureusement placés aux avantages exclusifs qu’ils pourraient acquérir. L’article IV de la Déclaration du 15 janvier 1896, par laquelle la situation du Siam est réglée, dit en effet :

Les deux gouvernements conviennent que tous les privilèges et avantages commerciaux ou autres concédés dans les deux provinces chinoises du Yunnan et du Sé-tchouan, soit à la France, soit à la Grande-Bretagne, en vertu de leurs conventions respectives avec la Chine du 1er mars 1894 et du 20 juin 1895, et tous les privilèges et avantages de nature quelconque qui pourront être concédés par la suite dans ces mêmes provinces chinoises soit à la France, soit à la Grande-Bretagne, seront, autant qu’il dépend d’eux, étendus et rendus communs aux deux puissances, à leurs nationaux et ressortissants, et ils s’engagent à user à cet effet de leur influence et de leurs bons offices auprès du gouvernement chinois.

On se demande vraiment ce qui a pu nous obliger à prendre un pareil engagement. Il est vrai que nous sommes toujours dupes de ces clauses de réciprocité, que nous concluons sans examiner les circonstances particulières dans lesquelles on nous les demande. Celle-là pourrait nous obliger à des sacrifices irréparables du côté du Sé-tchouan si les affaires de Chine aboutissaient à des extrémités qui nous obligeassent à prendre dans la majeure partie du Yunnan, où nous aurions pu, en tous cas, être les maîtres, cette situation exclusive nécessaire pour garder les approches de l’Indo-Chine. Il est vrai que nous pourrions discuter. De même que nous avons pris la bonne habitude de garder, à Canton, des canonnières qui nous permettraient, à l’occasion, de sauvegarder notre situation sur le Si-kiang, nous avons à Changhaï des troupes et des navires avec lesquels nous aurions à aider les Anglais assurer l’ordre sur le Yang-tsé jusqu’au moment où ils jugeraient bon, pour continuer à eux seuls cette œuvre méritoire, de nous reconnaitre ailleurs la même mission exclusive.

Mais, pour l’instant, là n’est pas la question. Ainsi que nous l’avons dit, il ne s’agit jusqu’à nouvel ordre que d’occuper des positions économiques, c’est-à-dire que nous devons donner sans retard une utilisation pratique aux concessions que nous avons obtenues dans les provinces voisines du Tonkin. En ce qui concerne le chemin de fer de Yunnan-fou, les études, interrompues par les derniers troubles, vont certainement être reprises. C’est le gouvernement de l’Indo-Chine est chargé de l’œuvre avec l’aide de notre diplomatie à Pékin. Il ne faillira certainement pas à une tâche qui fait partie de ce rôle impérial dont il a maintenant une si nette conscience.

Il faut même espérer que ce chemin de fer sera prolongé plus tard jusqu’au Sé-tchouan, par les cantons miniers de l’ouest du Kouei-tchéou. Sans doute, le Sé-tehouan a son débouché naturel le Yang-tsé, mais un pays si peuplé et si riche peut donner lieu à du trafic dans toutes les directions : il est à croire que les riz de l’Indo-Chine y trouveraient un débouché s’ils pouvaient y arriver sans frais excessifs.

Malheureusement, on dit qu’il s’est produit un arrêt de notre action sur certains points. L’entreprise du chemin de fer de Long-tchéou serait abandonnée au moins momentanément. Ni au Kouang-si cependant, ni au Yunnan nous ne saurions nous endormir sur l’excellence de notre position. Elle est, nous l’avons vu, incontestable, à tel point mème que les Anglais, pour participer à l'exploitation du Yunnan, ont fait avec des Français un consortium qui opérera par la voie du Tonkin. Mais il ne faut pas s’imaginer que l’impérialisme britannique soit porté, de son côté, à s’endormir, surtout avec lord Curzon. La pénétration de la Chine par la Birmanie est une œuvre formidable, ajournée peut-être, mais nullement abandonnée. Les Anglais tâtent toujours l’obstacle et cherchent la fissure. Ni notre situation meilleure, ni la série systématique des concessions que nous avons obtenues dans la Chine méridionale ne nous dispensent d’agir. Le droit qui n’a pas consacré ou créé le fait n’a jamais signifié grand chose.

Robert de Caix.