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DE L’ASIE FRANÇAISE

et le traite définitif fut signé le 12 février 1881. La Russie rendait tout le territoire qu’elle détenait, sauf un région à l’Ouest, qui lui était laissée, et où les indigènes qui préféreraient la nationalité russe la nationalité chinoise pouvaient s’établir (art. 1 et 7). Elle recevait une indemnité, pour les frais d’occupation, de 9 millions de roubles métal (art. 6). Ses privilèges commerciaux étaient considérablement accrus. Les Russes avaient le droit de commercer librement dans toute la Mongolie, d’établir des consulats dans les principales villes. Ils recevaient les mêmes droits dans les deux points d’arrivée, dans la Chine propre, des deux grandes routes de caravanes, Sou-tchéou pour celle de l’Ouest, et Kalgan pour celle de l’Est. Enfin (art. 18), les stipulations du traité de 1858, relatives à la libre navigation des Russes sur l’Amour, l’Oussouri et sur le Soungari, c’est-à-dire l’artère centrale de la Mandchourie, étaient confirmées. Les deux gouvernements devaient procéder à une entente concernant le mode d’application de ces stipulations. C’est le premier pas vers la russification de la Mandchourie, à laquelle nous assistons aujourd’hui. Elle a commence dès ce moment et n’a plus cessé.

Mais, ici encore, les circonstances ont heureusement servi la patiente ambition des tsars. La guerre éclata entre la Chine et le Japon le 1er août 1894 ; la Chine radicalement battue venait d’être obligée à des concessions, dont la plus grave était l’abandon au Japon de la Mandchourie méridionale. On comprend que la Russie, qui convoitait précisément la Mandchourie, soit intervenue, entraînant la France et l’Allemagne. Le Japon dut abandonner la Mandchourie. La Russie fut récompensée de ce grand service. Et, le 8 septembre 1896, un arrangement conclu entre la Banque russo-chinoise et le gouvernement chinois confia à la Banque la fondation d’une Société, dite du Chemin de fer de l’Est Chinois, laquelle devait construire un chemin de fer, à travers la Mandchourie, allant d’une station de la ligne de Transbaïkalie à une station de la ligne de l’Oussouri : c’est-à-dire qu’une voie ferrée, chinoise en théorie, et russe en réalité, devait désormais servir aux wagons russes du Transsibérien et leur permettre de se rendre de la Transbaïkalie à Vladivostok en coupant au court par le territoire chinois, au lieu de faire par les rives de l’Amour et de l’Oussouri un long et difficile détour par un chemin de fer qui d’ailleurs n’était pas, lui aussi encore construit.

En même temps la Russie jouait en Corée une autre partie. Après guerre de 1894-1895, le Japon, sous couleur de régénérer la Corée par elle-mème, avait placé auprès du roi des conseillers dévoués aux intérêts japonais. Seule, la reine semblait un obstacle ; elle fut assassinée le 8 octobre 1895. Mais cet événement eut un effet inattendu ; le roi, épouvanté, se réfugia, avec le prince héritier, dans les bâtiments de la légation russe. Tous deux y vécurent pendant un an et neuf mois, jusqu’au 20 février 1897. Ce coup de théâtre eut naturellement pour conséquence de substituer en Corée l’influence russe à l'influence japonaise. Russie et Japon échangèrent des négociations, qui aboutirent aux traités du 14 mai et du 9 juin 1896. Les deux puissances protestent toutes deux de leur désintéressement, et se partagent l’influence tout en s’en défendant. En fait, la Russie dirigea tout. Les finances coréennes furent réorganisées par un Russe ; l’armée coréenne fut instruite par des officiers russes. Mais ici, comme dans la province de l’'Ili, les Russes tinrent à se donner les apparences du détachement, et au début de 1898, quand les affaires parurent rétablies en Corée, ils demandèrent au roi s’il avait encore besoin de leurs conseils financiers et militaires. Sur sa réponse négative, ils se retirèrent, en