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BULLETIN DU COMITÉ

signant avec le Japon, le 25 avril, un dernier traité par lequel les deux puissances s’engagent l’une vis-à-vis de l’autre à ne pas intervenir dans les affaires intérieures du pays, et à n’accorder de conseillers financiers et militaires à la Corée qu’avec l’agrément l’une de l’autre. C’est ainsi que dans cette affaire de Corée la Russie a joué le rôle du troisième larron, mais avec un tact, une bienveillance, un air de désintéressement, qu’on retrouve dans toute sa politique orientale.

Pendant ce temps de nouveaux événements s’étaient passés en Mandchourie. Les Allemands s’étaient emparés en 1897 de Kiao-tchéou et les Anglais de Oued-oued. Les Russes saisirent l’occasion et demandèrent Port-Arthur et Ta-lienouan, singulièrement importants pour eux, puisqu’ils leur donnent enfin des ports sur une mer qui est libre de glaces pendant toute l’année. Ils reçurent en même temps l’autorisation de diriger sur Port-Arthur un embranchement de l’Est-Chinois (27 mars 1898). Enfin, un an plus tard, ils réçurent le droit de prolonger la ligne jusqu’à Pékin.

Durant les troubles qui sévissent actuellement en Chine, la politique russe ne s’est pas démentie. Dès que les insurgés ont attaqué la voie de l’Est-Chinois, les troupes russes se sont retirées, pour ne pas provoquer de conflits entre Chinois et Russes ; et elles se sont bornées à défendre leur propre frontière, à Blagovietchensk par exemple. Mais quand il a été évident que les Chinois ne pouvaient pas rétablir l’ordre en Mandchourie, les Russes s’en sont chargés, et l’ont rétabli en effet avec une vigueur sauvage. S’ils ont coopéré à l’expédition contre Pékin, ils ont été les premiers à vouloir retirer leurs troupes. Ils n’ont perdu aucune occasion de manifester leur bienveillance au gouvernement chinois.

II

La question politique est doublée d’une question économique, qui peut se formuler ainsi : Quelles sont, à l’heure présente, les relations commerciales qui existent entre la Russie et la Chine ? Nous laisserons aujourd’hui de côté : 1o  le cabotage qui se fait entre la Sibérie et la Chine ; 2o  le commerce maritime qui se fait entre les ports de la Russie d’Europe, Odessa par exemple, et les ports de la Chine. — Nous étudierons seulement le commerce qui se fait, sur les 8.000 verstes de la frontière de terre, du Turkestan à la Mandchourie.

En face des trois provinces russes de Fergana, de Semiretchié et de Semipalatinsk, s’étend, du Karakoroum au Targabatai, le Hin-Tchiang, qui forme depuis 1885 la vingtième province de l’empire chinois. Il atteint la Chine propre à l’ouest de Sou-tchéou. Région de steppes et de déserts parsemés seulement d’un certain nombre d’oasis : dans l’Ouest, Kachgar, Yarkand, Khotan ; Kouldja dans la vallée de l’Ili ; Ouroumtsi, Barkoul, Khami sur les flancs du Tian-tchan — région en somme assez analogue au Turkestan russe. Quand ces oasis sont riches, elles exportent leurs produits. De plus, elles jalonnent entre les possessions russes et la Chine une importante route de caravanes.

Cette route a été vantée par Reclus, qui voyait déjà passer entre l’Altai et le Tian-tchan le chemin de fer transcontinental Calais-Changhai. L’événement lui a donné tort. De fait, c’est cependant le long de cette route et dans cette région que se fait la plus grande partie de l’exportation russe : 2.191.004 r. en 1893, soit 60 % de l’exportation totale. Mais l’exportation chinoise par cette même route est faible. Le principal objet de l’exportation chinoise est en effet le thé, et il ne prend pas cette voie.

Quant aux oasis, qui sont la seule partie cultivable du pays, elles sont de valeur économique diverse. Celles du Sud-Ouest, Kachgar, Yarkand, Khotan, sont riches. Elles fabriquent et elles exportent la soie et le coton. Mais dès qu’on arrive à celles du Nord, il faut beaucoup en rabattre des éloges qui leur ont été donnés par Ritter, et plus récemment par Prjevalsky. Laplus considérable de toutes, Ouroumtsi, est un entrepôt animé et considérable ; mais elle n’a aucune importance propre. Il n’existe dans le Turkestan chinois que deux industries : celle du coton et celle de la soie. Ouroumtsi n’a ni l’une ni l’autre. Elle n’a même pas assez de blé et en demande aux oasis voisines. Il en est de même de Khami, qui a des cultures insuffisantes, une industrie nulle, et où l’élevage, seul assez prospère, est concentré dans les mains de quelques familles. Ainsi des autres oasis : de petites villes de steppes.

Le commerce qui se fait entre Kachgar et le Fergana passe par Och. Il y arrive par deux cols, dont l’un est assez facile en été. Le Fergana exporte principalement des cotonnades imprimées. Il envoie aussi des tissus de soie, des objets manufacturés, du fer, de l’acier, de la fonte, des objets de fer et de cuivre, du sucre, des chaussures, des couteaux sartes, des pistaches, des amandes, de la garance, du tabac sarte, et différents objets de détail : en somme, les produits d’une oasis féconde et d’une civilisation plus avancée. En retour, Kachgar lui rend surtout les produits de son industrie. Elle lui envoie de la soie en fil et des cotonnades blanches (mata bielaia) ; du feutre, des tapis, des robes, des ceintures, des pelleteries, du cuir de cheval et de mouton, de l’alun, de l’ammoniac, de l’opium, des tasses chinoises, des bonnets thibétains. Mais Kachgar envoie surtout ses marchandises au Nord, dans le Semiretchié, par le col de Terekty et la vallée du Naryn : en 1895, 1.164.804 roubles, — contre une faible exportation russe de 339.340 roubles.

En longeant vers le Nord la frontière du Semiretchié, nous trouvons à toutes les passes un commerce établi entre les possessions russes et les possessions chinoises. La Russie vend aux sujets chinois à peu près les mêmes objets dont elle four-