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un voyage

air bon enfant au milieu de la ville. Le gardien m’explique qu’Anna-Amalia était la mère du grand-duc Charles-Auguste. Et avec un accent appuyé il répète : « Charles-Auguste… l’ami de Gœthe. » Admirable ville où pour protéger la mémoire d’un grand-duc, le meilleur moyen qu’on imagine c’est de dire qu’il fut l’ami d’un grand poète ! Le gardien du palais Wittum, et avec lui tous les habitants de Weimar ont, cela se devine, une juste notion des valeurs.

La demeure d’Anna-Amalia, c’est une agréable maison bourgeoise, claire, commode, avec des meubles modestes. Seulement, quels souvenirs ils se racontent ces meubles, lorsque, délivrés enfin des visiteurs curieux, ils craquent librement parmi le silence des nuits ! Au milieu du salon où la grande-duchesse se tenait après dîner, est une large table ronde en bois fruitier, une de ces bonnes tables comme on en trouve dans les vieilles maisons de province. À cette table Schiller s’accoudait, Wieland y posait son livre, Gœthe y faisait des croquis. Et ensemble, ils causaient librement, profondément, gaiement aussi. On devine l’existence tranquille, délicate, amusée, pleine de naturel que menèrent ces grands seigneurs de l’esprit autour de la gracieuse princesse. Anna-Amalia connaissait mille choses : les langues vivantes, le latin aussi, la littérature française, le mérite d’une jolie conversation, le prix de l’amitié, et particulièrement le prix de l’amour. Car son cœur eut des fantaisies. Ses portraits nous la