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un voyage

morte des perles pâles. Il y en a des centaines. Le dessin exact des points lumineux, le rythme régulier de la marche que l’on perçoit faiblement, le rythme fort des musiques, tout cela encadré, soutenu, par le silence de la foule attentive, communique une exaltation analogue à celle qui dompte les nerfs lorsque, dans Parsifal, les chevaliers du Graal et les enfants, entre-croisent leurs pas et créent par-dessus la musique que l’on entend, une musique que l’on voit.

La place est couverte de flammes. Tous s’arrêtent. Quelqu’un parle. Ce défilé, ces musiques, ces flambeaux sont dédiés à la gloire de Schiller dont Weimar, en ce moment, célèbre les fêtes. L’orateur invisible, chaque fois qu’il lance le nom du poète, élève la voix comme en un cri, et chaque fois un frisson passe sur les porteurs de feu. La voix se tait et trois acclamations jaillissent en un bloc de son, énorme, rude et passionné. Les flammes palpitent plus fort, puis s’éteignent, les torches sont jetées à terre. C’est fini. Il ne reste plus que les ļampions couleur de perle. Les jeunes filles s’en vont par groupes. Leurs voix unies en d’admirables chœurs, s’affaiblissent, expirent aux tournants des rues, où le rouge des géraniums perce l’ombre. La place est vide, je suis seule dans la nuit et je sens autour de moi toute proche l’âme profonde, l’âme religieuse de l’Allemagne chantante et fleurie.