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un voyage

estime, son affection pour le prestigieux camarade dont il subit l’influence, il nous dit son érudition incomparable, et que : « il avait dans les manières une certaine délicatesse exempte d’affectation qui lui allait à merveille ». Il ajoute : « Tout ce qui venait de lui, jusqu’à son écriture, avait sur moi un pouvoir magique. Je ne crois pas avoir déchiré ou jeté, je ne dis pas une de ses lettres, mais une adresse écrite de sa main. » Après cela il ne cache pas que Herder était « plutôt propre à exciter qu’à conduire les esprits » ; qu’il avait une inexplicable « disposition à contrarier » ; qu’il tournait amèrement en dérision les critiques légères et les ardents éloges qu’on faisait de ses ouvrages ; qu’il excellait à vous décourager de vos projets, de vos entreprises, qui, sous sa dure ironie, prenaient des apparences vaines ou grotesques ; qu’il était caustique incessamment et cruellement.

Herder, dans une lettre n’avait pas craint de ridiculiser le nom de Gœthe. À la fin de sa vie Gœthe ne pouvait encore oublier cet outrage. Il dit, assez curieusement : « Le nom d’un homme n’est pas un manteau que l’on puisse tirailler à volonté ! C’est un habit parfaitement ajusté à sa taille, ou plutôt, c’est sa peau même qui s’étend à mesure qu’il croît, et qu’on ne peut piquer ou déchirer sans le blesser. » À vingt ans et à quatre-vingts, Gœthe avait pour son nom le respect qu’en devait avoir la postérité. De toutes les taquineries de Herder, cette insolence envers le nom sacré fut peut-être celle qu’il pardonna le moins.