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erfurt

figure ». Une figure dont de cruelles mains semblent avoir tiraillé, creusé la maigreur molle. Et quel regard ! quel affreux regard désespéré, méchant ! Pauvre misérable, elle sait qu’elle va mourir, elle en est sûre, tellement sûre, et elle a une colère navrée contre ceux qui seront là encore, quand elle n’y sera plus !

La voix d’une personne invisible dit, dans une chambre voisine, que je me trompe ; ce n’est pas ici que l’on donne les cartes. Et tandis que, bien plus lentement, je recommence l’ascension vers l’église, je sens cette haine qui me suit ; j’emporte avec moi, pour ne l’oublier jamais, le regard féroce qui me reproche de vivre.

L’intérieur de la cathédrale est plein d’une admirable pénombre. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que la manière dont une église s’enténèbre renseigne sur la beauté de ses proportions. Beaucoup de monuments médiocres s’éclairent bien ; ceux qui deviennent plus magnifiques à mesure que l’obscurité les envahit sont plus rares et, j’imagine, d’un rythme plus parfait. La fin d’après-midi dans le dôme d’Erfurt est d’une splendeur incomparable.

Je m’arrête à regarder un tombeau où sculptés avec le plus grand caractère se voient le comte de Goschen et ses deux femmes. Ses deux femmes non pas consécutives, mais simultanées. L’une étant sa légitime épouse, une noble dame et l’autre une