Après un peu de temps, le cocher triste se tourne, appelle mon attention d’un regard sévère, braque son fouet vers le lointain et dit : « Cette hauteur que vous voyez là-bas, entre les arbres où le terrain est gris, c’est l’endroit où Vénus donnait ses rendez-vous à Tannhauser. »
Cet homme sérieux ne songe guère à me tromper ni même à me faire sourire. Il m’informe d’un fait historique indiscutable et bien connu de tous les cochers à Eisenach. Mais lui, que voit–il, quand il m’offre ce renseignement. Quelle image de Vénus se lève dans son esprit ? — N’avez-vous jamais connu de curiosité pareille à la mienne lorsque vous entendiez les noms fabuleux prononcés par de simples gens que les littératures ont épargnés ? — Cet homme morose ignore certainement que Vénus soit la déification de l’instinct amoureux. Tout au plus soupçonne-t-il la personne qu’on appelait ainsi, de quelques imprécises diableries, comme on en pratiquait aux époques lointaines où « c’était autrement qu’aujourd’hui ». À part cela, il ne sait rien de la déesse née de l’écume, rien sinon que : elle a existé ! Notre Vénus, création et matière poétique, symbole, abstraction, qu’elle est vague au prix de la sienne ! Il l’attire en pleine réalité actuelle, lui qui ne possède pas d’autre domaine ! lui que ses ancêtres n’ont pas doté d’un cerveau construit par les livres. Peut-être lui prête-t-il le visage de la demoiselle au cœur facile qui sert des bocks à la brasserie ; peut-être la souveraine dignité des princesses, qu’il a vues parfois tra-