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demeures du béguinage sont paisibles, à la manière des mortes pâles qui, étendues sur un lit bien ordonné, n’écoutent plus les sanglots de la douleur, ni les paroles entrecoupées de l’espoir.

Probablement les très vieilles dames, et les moins vieilles, qui habitent là, sont-elles gaies, heureuses même ? Pour qui le traverse, la tête bourdonnante de chers soucis, le cœur lourd de souvenirs, cet endroit dégage une tristesse infinie. Il faut bien offrir un acquiescement à sa leçon banale. Mais quel morose acquiescement. Sans doute, pour échapper aux désastres, aux misères, il suffit de se clore dans l’étroite maison, d’y faire soigneusement le ménage de son égoïsme et, à petit bruit, évitant la passion, le risque, les larges gestes dangereux, d’accomplir chaque jour une tâche mesurée. Sans doute la sagesse n’établit pas ses retraites au centre de la mêlée ?… On connaissait avant de venir là ces truismes rebattus. Là, ils découragent mieux qu’ailleurs, De cet asile ombreux et serein, malgré soi, on regarde les routes où, un dur soleil sur le crâne, on marchait dans la poussière, les pieds blessés. Et, loin que les images de repos partout présentes soulagent, on est plus las. Car il faudra reprendre la chaude route, et — on le sent si fort ! — jusqu’au bout, refuser la paix, puisqu’on la goûte seulement alors que, seul et clos en sa demeure, on accepte de ne plus combattre, de ne plus vouloir, de ne plus exister…