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potsdam

les armes royales sur sa première page. Cependant tous deux feignent l’ignorance : on continue de souper ensemble le plus gaiement qu’on peut. Mais ce sont, dit Voltaire, « des soupers de Damoclès ». On se connaît, nulle illusion ne demeure.

Voltaire sent tous les périls de la situation. Va-t-il user de prudence, se faire petit, se tenir tranquille ? Ah ! non.

Maupertuis s’avise de publier un ouvrage très absurde où il propose de faire sauter une des pyramides, de creuser un trou qui aille jusqu’au centre de la terre, de disséquer le cerveau de personnes vivantes, etc. Ce livre jette Voltaire dans une sorte de frénésie. Il faut qu’il réponde, qu’il couvre son ennemi d’un ridicule immortel. Les plaisanteries bouillonnent dans sa tête. Pourra-t-il y tenir ? Il n’y tient pas et écrit la diatribe du docteur Akakia. Mais comment l’imprimer ? il faut obtenir un privilège du roi. Le roi vient de montrer comment il protège Maupertuis. Voltaire saigne encore d’une rude égratignure. Tant pis ! Il déclare qu’il veut publier la défense de Bolingbroke et de la libre-pensée, le roi accorde le privilège. Cette fois, c’est Voltaire qui se moque de lui, à son nez, avec une audace merveilleuse. La diatribe paraît. Il ne servait de rien qu’elle ne fût pas signée. Tout le public devait aux premières lignes nommer l’auteur. Et sans doute Voltaire eût-il été fort marri qu’on attribuât à quelque autre ce chef-d’œuvre de raillerie. Pour un homme en demi disgrâce et qui sentait à son épaule la terrible main de Frédéric,