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un voyage

j’imagine moins de bêtes qu’au temps de Charles-Quint dans les forêts de ce pays-ci. Tout de même il y en a énormément et à coup sûr beaucoup plus que dans les nôtres. Autrefois, en Bourgogne, j’ai connu un grand chasseur qui, pour occuper ses trois cents chiens, était obligé de faire venir d’Allemagne des cerfs qu’il lâchait à travers la campagne. Ensuite, lorsqu’ils s’étaient un peu installés, lui et sa meute couraient après comme des perdus. De là, j’ai conclu que nous n’avons pas assez de cerfs, et les Allemands trop. Cela s’explique par l’extrême rigueur avec laquelle les braconniers sont punis en Allemagne, ainsi qu’il convient chez un peuple si irréductiblement féodal… Il serait curieux peut-être, de rechercher à travers l’histoire et les pays, les modifications subies par les lois sur le braconnage, puis, d’en confronter les dates avec les dates de ces mouvements dont l’instinct d’égalité agite parfois la masse humaine. On verrait, sans doute, que cela a un sens très fort et très révélateur : une loi sur le braconnage… Quand on y pense sans rien savoir, il paraît drôle que des bêtes sauvages, nées où il plaît à Dieu, appartiennent à quelqu’un plutôt qu’à tous… C’était drôle aussi que jadis, des hommes appartinssent à d’autres hommes parce qu’ils étaient nés dans un certain village. Il y a eu beaucoup de choses drôles il y en a encore… Quelles idées, — saugrenues, j’en suis sûre, et subversives, je le crains, — m’inspirent quant à la propriété les cerfs et les sangliers de Moritzbourg !