Page:Bulteau - Un voyage.pdf/359

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
344
un voyage

semble qu’un coup de vent emporterait la bâtisse étrangère, qui n’est pas née du sol, et hostile, se ferme à la poésie flottant autour d’elle, la rejette, la détruit.

J’ai rencontré peu d’objets mieux faits pour immobiliser l’esprit, rendre l’émotion impossible, donner envie de se pendre que ce temple grec planté au-dessus de la forêt bavaroise.

En revenant à Ratisbonne, je rencontre des promeneurs, montant vers la Walhalla : camarades qui marchent en silence, amoureux qui se tiennent la main et vont, les yeux perdus ; jeunes filles qui, parfois, se baissent, cueillent une fleur, l’ajoutent sans la regarder à leur bouquet.

Ces gens, la plupart, ont un air de rêverie. Comme je la devine différente de la mienne ! Et que j’aimerais à en saisir le mécanisme. Mais, c’est impossible ! Voient-ils les objets où leurs regards se posent si mollement, ou d’autres formes suggérées par ces objets ? Peut-être, tandis qu’ils sont ainsi, les mémoires ancestrales travaillent librement sous leur conscience, et les emplissent de sensations confuses, qu’ils ne pourraient formuler, dont ils ne savent pas ce qu’elles sont… Dans la poésie allemande, plus que dans toute autre, lorsqu’on a parcouru jusqu’au bout la série des analogies et des contrastes imposés par les images, on trouve une zone mystérieuse où on ne pénètre pas. Les grands poètes allemands me donnent toujours l’impression de gens qui auraient vécu des existences dont, quoi qu’ils les aient oubliées, les émotions persistent en