rient sans doute de choses étrangères au terrible
drame. Du reste, lui, le gardien est-il sûr de les
avoir vu rire, tous ? Tous ! C’est bien invraisemblable ! Il secoue la tête et insiste : « Tous, sans
exception ! » Il songe une minute et entre ses dents
ajoute : « Je sais bien pourquoi ils rient : ce sont
des catholiques !… Allez ! ils sont trop contents
qu’on l’ait tué ! » Puis il s’anime et se met à dire
les plus graves horreurs de Farnèse, d’Albe, de
Philippe II. De Philippe II surtout ; à un moment
il l’appelle « crétin » avec une expression d’indicible haine.
Mais je n’ai aucune envie de trouver ridicule ce vieil homme. Je l’écoute. Il semble connaître familièrement l’histoire anecdotique de ce temps, où, certes, son esprit habite plusieurs heures chaque jour. Ces Espagnols qu’il exècre si chaudement, on dirait qu’il les a coudoyés par les rues ; on dirait qu’il a servi son cher prince. Ceux qui ont relevé Guillaume alors que mourant il jetait son cri sublime : « Pauvre peuple ! » n’en parlaient sûrement pas avec une émotion plus fraîche, plus vivante que ce gardien de musée. Pour lui, le sang n’est pas sec sur les marches. Il se souvient des paroles inquiètes avec lesquelles la princesse d’Orange, avertie par la figure du meurtrier qu’elle avait aperçu, tenta d’empêcher que le prince l’allât joindre, il sait, il a vu : il continue de voir ! Le jour de 1584, jour affreux entre les jours, où une balle, en crevant le cœur de Guillaume d’Orange, blessa la religion du vieux gardien, n’est pas fini.