Page:Bulteau - Un voyage.pdf/374

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
359
ratisbonne

la folie, le désespoir ; tragique comme un être dont l’énergie vitale montée au paroxysme clame vers la destruction. Je le regarde, ce grand Danube passionné, mais je ne le vois pas. Il est trop rapide. Le point où s’attachent mes yeux n’est déjà plus là, il a fui, loin, vite, si vite… Cette course folle de l’eau, me dompte. Il me paraît sentir en moi, aussi violente, aussi redoutable, la course rejointe de la vie et de la mort qui, à chaque parcelle de seconde, emportent, apportent les molécules, font de mon corps un autre corps, de mon âme, une autre âme que cette âme et ce corps qu’hier j’appelais : moi. L’être qui regarde le fleuve vertigineux, rien ne reste en lui des êtres précédents ; demain, rien ne restera de lui. Il change, il fuit comme l’eau terrible et démente qui veut aller mourir dans la mer…

Je me suis sauvée, le cœur frappant fort, prise de vertige. Je n’oublierai jamais cette heure passée près du fleuve redoutable.

Je circule dans la ville. J’entre dans les églises. Je m’intéresse, un moment, au médaillon de don Juan d’Autriche sculpté sur la façade d’un hôtel. C’est à Ratisbonne que naquit ce glorieux bâtard. Pourquoi Charles-Quint l’entoura-t-il d’un tel air de secret ? Avoir un fils naturel, ce n’était pas une telle affaire pour un seigneur dans les propriétés de qui le soleil ne se couchait pas. Il semble