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en hollande


Et sans cesse sa haine le tire vers le même point : Philippe II ! Près de la porte, en guise d’adieu il dit, et soudain sa figure s’éclaire : « Vous savez qu’Il a été mangé vivant par les vers… c’est bien fait ! »

L’étrange gardien du musée s’adapte à mes rêvasseries et les prolonge. Peut-être Philippe II et Guillaume le Taciturne ne sont–ils nullement morts ? Peut–être resteront-ils en présence longtemps après qu’il n’y aura plus ni catholiques ni protestants, mais vifs, armés, éternels : l’instinct de domination et l’instinct de liberté.

Errer dans Delft, au hasard, sans recherche, c’est un délice. La sensibilité s’anime, à mesure que l’on va par les rues glauques dont la lumière fait penser aux lueurs équivoques, pleines de choses invisibles, et qui dorment dans l’eau lourde des aquariums.

On voit le canal noir ; un mur granulé où des feuilles jettent leur ombre parmi de petites taches rondes de soleil ; entre deux toits bruns, un morceau de ciel frais et luisant comme un tableau récemment verni. On voit des objets vulgaires, et on éprouve des sensations opulentes. À Delft, on découvre sur toutes choses ce brillant, cette intensité dont certains poisons exaltants parent le monde visible.