Page:Bulteau - Un voyage.pdf/408

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
393
munich

commentaire il a donné à nos tourments. Ces gens n’auront plus besoin de lui ; qui sait, ils les mépriseront peut-être.

La musique de Wagner nous est arrivée dans une heure où de grands espoirs vagues, un besoin de liberté et d’espace, l’horreur des contraintes, un appétit de nouveautés, un sens ardent et nerveux de la pitié, travaillaient en nous. La volonté de « vivre sa vie », la certitude du « droit au bonheur », sont contemporains de nos premiers enthousiasmes pour le sorcier de Bayreuth, et aussi le respect de la passion, quelle qu’elle soit ; et la tendresse palpitante pour les souffrances du coupable ; l’ardente foi dans les résultats du socialisme ; un goût plus vif pour la générosité que pour la justice, et mainte tendance hésitante ou précise à l’anarchie. Ceux qui nous suivent ne nous ressemblent en rien. Il leur faudra d’autres émotions. Lorsque dans les concerts on joue du Mozart, il est curieux de voir quel plaisir sincère, passionné, y prennent les auditeurs. On dirait que cet orchestre léger, cette paix profonde, cette rêverie ordonnée s’adaptent à des besoins secrets. Peut-être, après la faillite de nombreuses espérances, l’avortement de plus d’un rêve, les anarchiques même, commencent-ils à s’irriter de l’anarchie et à chercher des règles. La licence donne le goût des contraintes, l’extrême agitation, le besoin du calme. Wagner, qui débride les passions, les déifie, et exalte frénétiquement la liberté, ne sera pas sans doute le héraut de la génération qui, demain, va se mettre à l’œuvre.