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un voyage

Après un peu de temps, les dévots, très fâchés, rentrèrent dans Rome ; et ainsi Junipère n’eut pas de cortège.

Excepté qu’il charme les oiseaux, apaise les disputes et prédit les bonnes récoltes, saint François ne fait guère de miracles, mais il a des visions, et on en a autour de lui. Ne pensons pas que ces visions soient inventées après coup par les fabricants de légendes. Ne disons pas que les mystiques du temps passé « croyaient voir » : ils voyaient ! Vous, les réalistes, assurés de votre équilibre mental, n’arrive-t-il pas, lorsque la pensée d’un être vous obsède que vous vous figuriez sans cesse le reconnaître dans quelque passant ? Ce passant ne lui ressemble en rien : n’importe, la personne qui vous occupe violemment est là devant vous. C’est qu’une seule image habite votre esprit et le ferme aux intérêts, aux curiosités, à tout ce qui n’est pas elle. L’image qui supprime les autres a tant de force qu’elle se projette hors de vous et se réalise. Vous ne « croyez » pas voir l’être dont vous êtes plein : vous le voyez. Cet effort involontaire dont nous sommes tous capables lorsqu’une grande passion, une grande peur nous dominent, les mystiques étaient constamment prêts à le faire. Le Christ, la Madone, les saints, qui venaient les consoler, ils les tiraient de leur propre cœur. En vérité, ils les ont vus !