Page:Bulteau - Un voyage.pdf/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
un voyage

s’attarde à l’examiner. Seules les jambes comptent : les jambes minces, agiles et fortes qui doivent porter loin et vite, vite la nouvelle du triomphe… Les sculpteurs grecs savaient plus d’un secret.

Le second morceau, de miraculeuse beauté, c’est une colossale tête de Bacchus. Le nez est brisé, Dieu merci, personne n’a entrepris de le restaurer, — les cheveux se dressent sur le front, pareils à des langues de feu un moment resserrées par le vent, et qui vont se diviser, s’étendre, monter, embrasant tout. Aux tempes, ces cheveux extraordinaires coulent, se creusent comme des flots qui viennent d’échapper à la contrainte d’un obstacle. Cette chevelure de flamme et d’eau sertit le plus étrange visage. Les immenses yeux ont un calme équivoque, mais la bouche rit d’un rire singulier et redoutable. C’est le dieu de toutes les frénétiques ivresses qui emportent l’âme par delà ses limites. Il rit de la folie brûlante des ménades dociles à sa voix. Les ménades qui, dans leur joie, ne reconnaissent plus les êtres chéris et les déchirent comme elles déchirent les bêtes. Les ménades délirantes, aux mains desquelles les reptiles sont de souples fouets sifflants. Ce Bacchus magnifique et terrible, c’est bien le dispensateur des joies sans pitié, formidables et mortelles…

Je le quitte avec des nerfs tressaillants pour voir la salle égyptienne, où les momies sont arrangées comme nulle part ailleurs.

On les a mises dans un couloir très étroit. Des draperies noires pendent et bougent un peu. Les