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un voyage

l’une des plus affreuses et sauvages erreurs du goût contemporain. Ces lumières excessives détachent le tableau du mur, le jettent en avant, le vident, faussent les valeurs, exagèrent ou suppriment ces légères ombres que portent les empâtements : le désaccordent. Un tableau doit baigner dans la même atmosphère que les gens qui le regardent, ne pas être un accident. Il faut qu’il soit possible de ne pas le voir, et que, loin de vous sauter à la figure, il vous attende, vous appelle comme à voix basse.

Eclairée de la sorte, la Ronde de Nuit entre dans l’œil avec la brutalité d’un plat de cuivre. Elle n’est plus rayonnante mais dure, terne par places, à d’autres creuse. Croyez–vous la voir sous ce paquet de grosse lumière ? Quittez une telle illusion. Pour la voir il faut la découvrir lentement, entrer pas à pas sous sa voûte, recevoir l’un après l’autre les chocs toujours plus forts de l’admiration, plonger avec précaution dans la brume d’or, en ressortir pour absorber ce pétillement, toucher l’une après l’autre les colorations d’autant plus somptueuses qu’elles paraissent d’abord éteintes, être enfin absorbé par le tableau, roulé en lui comme un caillou par une grande vague.

Je vous défie de rien réaliser de pareil devant ce chef-d’œuvre unique, réduit au silence. Le tableau a perdu ensemble son secret et sa signification.

Heureusement l’incertitude qui possède les gens dont les promenades de la Ronde de Nuit dépendent,