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Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/206

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naquirent la froideur d’abord, puis la jalousie, enfin des querelles.

— Ô mon père, votre amour devait être bien fort pour mettre la division entre les cœurs de deux frères pareils !

— Oui. Ce fut au milieu des vieilles ruines du castel où j’avais vu Ellinor pour la première fois, que, passant mon bras autour du cou de Roland assis au milieu des ronces et des pierres et la figure cachée dans ses mains, ce fut là que je lui dis : « Frère, nous aimons tous les deux cette femme ! Mon caractère est plus calme que le vôtre, je sentirai moins vivement sa perte. Frère, serrons-nous la main, et que Dieu vous protège ! car je pars. »

— Austin ! murmura ma mère en courbant la tête sur la poitrine de mon père.

— Et là-dessus nous nous querellâmes. Car ce fut Roland qui insista, les larmes aux yeux et en frappant du pied, disant qu’il était l’usurpateur, l’intrus ; qu’il n’avait aucun espoir ; qu’il avait été fou, insensé, et que c’était à lui de partir ! Or, pendant cette dispute où nous commencions à nous échauffer, le vieux domestique de mon père arriva dans ce lieu désolé, avec un billet de lady Ellinor qui me demandait de lui prêter quelques livres dont je lui avais fait l’éloge. Roland vit l’écriture, et tandis que je tournais et retournais le billet, indécis si je romprais ou non le cachet, il disparut.

« Il ne rentra pas à la maison paternelle. Nous ne pûmes savoir ce qu’il était devenu. Mais moi, songeant à son caractère volcanique, je pris l’alarme et me mis à sa recherche. Je découvris enfin ses traces et le trouvai, plusieurs jours après, dans une misérable chaumière, au milieu des plus tristes de ces landes qui forment une si grande partie du Cumberland. Il était si changé que je le reconnus à peine. Pour abréger, nous fîmes enfin un compromis. Nous devions retourner à Compton. Cette incertitude était intolérable. Un de nous au moins devait prendre courage et apprendre sa destinée. Mais qui parlerait le premier ? Nous tirâmes au sort, et le sort tomba sur moi.

« Et alors qu’il s’agissait sérieusement de passer le Rubicon, alors qu’il fallait relever le secret espoir qui m’avait si longtemps animé, qui avait été pour moi une vie nouvelle, quelles furent mes sensations ! Soyez persuadé, mon cher fils, que