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Miss Jemima ayant soigneusement cacheté le billet que mistress Hazeldean lui avait très-volontiers permis d’écrire, le porta elle-même jusqu’à l’écurie, afin de donner au porteur l’ordre d’attendre la réponse ; mais, pendant qu’elle parlait au domestique, Frank, dans une toilette plus recherchée que d’habitude, entra dans la cour, demandant son poney à haute voix, et s’adressant à ce même groom auquel miss Jemima donnait ses instructions, car c’était le plus alerte des domestiques du squire ; Frank lui cria donc de seller le cheval gris pour accompagner le poney.

« Non, Frank, dit miss Jemima, il ne faut pas emmener Georges ; votre père a besoin de lui pour une commission, mais vous pouvez prendre Mat.

— Ah ! bien oui, Mat ! s’écria Frank avec un mouvement légitime de mauvaise humeur ; car Mat était un vieux garçon grognon, sujet à porter des cravates inexcusables, et qui s’arrangeait toujours de façon à avoir une grande pièce à ses bottes. De plus, il avait coutume d’appeler Frank maître Frank ! et refusait obstinément de descendre les côtes au trot. Ah ! bien oui, Mat ! que Mat fasse la commission et que Georges vienne avec moi ! »

Mais miss Jemima avait aussi ses raisons pour rejeter Mat. Le faible de Mat n’était pas la soumission, et il faisait toujours preuve de sa véritable indépendance anglaise dans toutes les maisons où il n’était pas invité à prendre un verre de bière dans la cuisine. Mat pouvait donc offenser le signor Riccabocca et tout gâter. Il s’ensuivit une altercation assez animée, au milieu de laquelle le squire et sa femme entrèrent dans la cour avec l’intention de monter dans le cabriolet conjugal pour se rendre à la ville. L’affaire fut portée devant l’arbitre naturel par les deux parties. Le squire jeta sur son fils un regard de profond mépris.

« Eh ! qu’as-tu donc besoin d’un groom ? Crains-tu donc de tomber du poney ?

Frank. Non, mon père. Mais, quand je vais faire une visite à un gentleman, j’aime à me présenter en gentleman.

Le squire (courroucé). Mauvais petit fat, je crois être un aussi bon gentleman que tu le seras jamais, et je voudrais bien savoir quand tu m’as vu me rendre à cheval chez un voisin avec un domestique sur mes talons, comme ce parvenu de Ned Spankie, dont le père a une manufacture de coton. C’est la première fois que j’entends dire qu’un Hazeldean a besoin d’une livrée pour prouver sa noblesse.

Mistress Hazeldean (qui voit Frank rougir et sur le point de répliquer). Chut, Frank, ne réponds jamais à ton père… Tu allais faire une visite à M. Leslie, dis-tu ?

— Oui, ma mère ; et je suis bien reconnaissant à mon père de me l’avoir permis, dit Frank, en prenant la main du squire.

— Mais, Frank, continua mistress Hazeldean, je croyais que tu savais que les Leslie sont très-pauvres.

Frank. Eh bien ! ma mère.

Mistress Hazeldean. Voudrais-tu donc risquer de blesser l’or-