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active aux affaires de la Chambre des communes. Il se trouvait alors dans la position la plus avantageuse pour un ambitieux. Tout ce qu’il disait sur l’état du pays prenait de l’importance à cause de la position qu’il y occupait. Ses talents trouvaient des auxiliaires dans l’opulence et la dignité d’un établissement princier, la considération attachée à un homme aussi bien posé, la réputation d’une fortune en effet considérable, mais que la renommée grossissait encore. Audley Egerton réussit au parlement au delà de tout ce que l’on avait pu espérer. Il obtint tout d’abord dans la chambre cette réputation qu’il faut tant de tact pour acquérir, mais qui, une fois établie, impose surtout par la rareté de son indépendance : c’est-à-dire la réputation d’un homme modéré, qui appartient assez à un parti pour y trouver un appui, mais qui cependant a conservé assez de liberté pour faire de son vote ou de son discours, sur certaines questions, un sujet de doute et d’inquiétude.

Quoique tory (le mot conservateur qui lui aurait mieux convenu, n’était pas encore inventé), il se séparait du parti des propriétaires fonciers et témoignait toujours un profond respect pour les opinions des grandes villes. On disait d’Audley Egerton qu’il avait des vues éclairées. N’étant pas trop en avance sur les passions du temps, ni trop en arrière sur son mouvement, il avait cette fine pénétration que la connaissance parfaite du monde donne parfois aux hommes politiques ; il appréciait le pour et le contre d’une question, et touchait droit au but, malgré vents et marée. Il était un baromètre si sûr des variations de l’opinion publique, qu’il aurait pu écrire dans le Times. Il se mit bientôt et à dessein, en opposition directe avec ses constituants de Lansmere et ne reparut jamais dans ce village ; peut-être lui rappelait-il des souvenirs peu agréables, sous la forme des épîtres grondeuses du squire, et de ses propres effigies, que les électeurs campagnards avaient brûlées sur la place du marché au blé. Mais les discours qui avaient tant indigné Lansmere avaient ravi l’une de nos plus grandes villes de commerce, qui, aux élections suivantes, le proclama son représentant. À cette époque, avant le bill de la réforme, les grandes villes commerçantes se choisissaient généralement des députés marquants, et c’était un poste fort envié que d’être l’orateur des princes-marchands d’Angleterre.

Mistress Egerton ne vécut que peu d’années après son mariage. Elle ne laissa pas d’enfant ; elle en avait eu deux, qui étaient morts presque aussitôt leur naissance. Sa fortune passa donc tout entière et sans opposition aux mains de son mari.

Quelle que fût la douleur d’Egerton, il dédaigna de la montrer. Il avait appris de bonne heure à cacher ses émotions. Pendant quelques mois il alla s’enterrer à la campagne, personne ne sut dans quel lieu. Quand il revint, des rides plus profondes sillonnaient son front ; mais on ne remarqua aucun changement ni dans ses habitudes, ni dans ses occupations, sinon que peu de temps après il accepta un portefeuille et fut alors plus occupé que jamais.

M. Egerton avait toujours été généreux, prodigue même. Un homme