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CHAPITRE III. — DÉCOUVERTE DE LA BEAUTÉ DE LA NATURE.


si l‘imagination d’un poëte doit s’enflammer quelque part, c’est ici, dans la « cachette de Diane ». Souvent il a tenu le consistoire et la segnatura ou donné audience à des ambassadeurs sous de gigantesques châtaigniers séculaires ou sous des oliviers, sur la verte prairie, à côté d‘eaux jaillissantes. Il sent immédiatement tout ce qu’a de poétique un spectacle comme celui d’une gorge qui va se rétrécissant, avec un pont hardi jeté sur le précipice. Même un objet isolé, un détail perdu dans l’ensemble le charme parce qu’il y trouve la beauté, la perfection : tels sont les champs de lin aux fleurs bleues agitées par la brise, le genêt doré qui tapisse les collines, même les broussailles, un arbre remarquable par sa beauté, une source limpide ; ce sont des objets qui lui apparaissent comme des merveilles de la nature.

C’est pendant l’été de 1462, alors que la peste et une chaleur dévorante désolaient la plaine, qu’il se livra plus que jamais à sa passion pour la nature et les beaux paysages. Il s’était retiré sur le Monte Amiata. Il s’établit avec la curie à mi-hauteur, dans l’ancien couvent lombard de San Salvatore ; là, entre des châtaigniers qui s’élèvent sur la pente escarpée de la montagne, l’œil embrasse tout le sud de la Toscane et aperçoit au loin les tours de Sienne. Il ne gravissait pas lui-même le sommet le plus élevé ; il laissait ce plaisir à ses compagnons, auxquels se joignait volontiers l’orateur vénitien ; ils trouvaient tout en haut deux énormes blocs de rochers superposés, peut-être l’autel où sacrifiait quelque peuple primitif, et croyaient découvrir par delà la mer, tout au bout de l’horizon, la Corse et la Sardaigne [1]. Dans cette délicieuse fraîcheur, entre les chênes et les châtaigniers

  1. Il faut sans doute lire ; la Sardaigoe, au lieu de : la Sicile.