Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 2.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sert de cadre à tous les sujets possibles, de telle sorte que les madrigaux et même les canzoni n’occupent, à côté du sonnet, qu’un rang secondaire. On a vu, dans la suite, des Italiens se plaindre, tantôt en riant, tantôt sérieusement, de ce moule inévitable, de ce lit de Procuste de quatorze vers à l’usage des sentiments et des Idées. D’autres étaient et sont encore enchantés de cette forme ; ils l’emploient à satiété pour y enchâsser des réminiscences sans intérêt et des idées sans consistance. Voilà pourquoi il y a bien plus de sonnets insignifiants ou mauvais qu’il n’y en a de bons.

Néanmoins l’avénement du sonnet est une bonne fortune pour la poésie italienne. Sa netteté et la beauté de sa structure, l’obligation qui s’impose au poëte d’élever et de condenser l’idée dans la seconde moitié dont l’allure est plus vive, enfin la facilité avec laquelle la mémoire le retient, ont dû le rendre toujours plus cher même aux plus grands écrivains. Ou bien croit-on sérieusement que ceux-ci l’auraient conservé jusqu’à notre siècle s’ils n’avaient pas été pénétrés de sa haute valeur ? Il est certain que ces maîtres de l’art auraient pu montrer la même puissance de génie en employant des formes toutes différentes. Mais c’est parce qu’ils firent du sonnet la forme lyrique par excellence que beaucoup d’autres poètes moins heureusement doués, incapables de réussir dans des œuvres lyriques de longue haleine, furent forcés de concentrer leurs idées et leurs sentiments. Le sonnet devint une sorte de condensateur poétique comme n’en possède aucun autre peuple moderne.

C’est ainsi qu’en Italie le monde du sentiment nous apparaît sous une foule d’images nettes, concentrées, frappantes par leur peu d’ampleur même. Si d’autres