Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 2.djvu/39

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leux que les vers eux-mêmes, et forme avec eux un tout animé, dans toutes ses parties également, de la chaleur la plus communicative. Il se déprend de l’âme elle-même pour constater toutes les nuances de ses joies et de ses douleurs, et il les condense dans le moule étroit que l’art lui fournit. Quand on lit attentivement ces sonnets et ces canzoni avec les admirables fragments du journal de sa jeunesse, on est tenté de croire que, pendant tout le moyen âge, les poëtes se sont, pour ainsi dire, évités eux-mêmes, et qu’il est le premier qui ait pénétré dans les profondeurs de son être. Mille autres avant lui ont construit des strophes savantes ; mais il est le premier qui soit artiste dans toute l’acception du mot, parce qu’il unit sciemment la beauté de la forme à la beauté du fond. Quoique subjective, sa poésie lyrique est d’une vérité et d’une grandeur tout objectives : ce sont la plupart du temps des œuvres si achevées que tous les peuples et tous les siècles peuvent en ressentir le charme [1]. Mais quand sa poésie est tout objective, quand il ne laisse deviner la profondeur de son émotion que par un fait intérieur, comme dans les magniflques sonnets Tanto gentile, etc., et Vede perfetiamente, etc., il croit devoir s’excuscer [2]. Au fond, le plus beau de ces poëmes, le sonnet Deh peregrini eke pensais mandate, etc., a aussi sa place marquée ici.

Même sans la Divine Comédie, Dante, par cette simple histoire de jeunesse, établit une ligne de démarcation entre le moyen âge et les temps modernes. Chez lui

  1. Ce sont ces canzoni et ces sonnets que chantaient et défiguraient le forgeron et l’ânier qui ont tant fâché Dante. (Comp ïian. O Sacchetti, nov. Ii4, 115.) Ce fait prouve que cette poésie deviiit rapidement populaire.
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