Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 2.djvu/60

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avec les armes et les armures les plus singulières. Parfois le poëte déplore plaisamment l’inexplicable félonie qui était héréditaire dans la famille de Ganelon de Mayence, gémit sur la pénible conquête de l’épée Durandal, etc. ; même la tradition n’est plus, en général, pour lui qu’un fond commode qu’il émaille d’inventions ridicules, d’épisodes, de théories à son usage (qui lui inspirent parfois des pages remarquables, entre autres la fin du chapitre VI), et d’obscénités. Enfin, à côté de tout cela, il y a des railleries à peine déguisées à l’adresse de l’Arioste ; heureusement pour le Roland furieux, il fut bientôt délivré de l’Orlandino, grâce aux rigueurs de l’Inquisition, qui le poursuivit à cause des hérésies luthériennes qu’il contenait et qui réussit à le faire oublier. On reconnaît, par exemple, une parodie du grand poëte dans le chapitre VI, strophe 28, où l’auteur fait descendre la maison de Gonzague du paladin Guidone, attendu que les Colonna devaient remonter à Roland, les Orsini à Renaud, et, d’après l’Arioste, la maison d’Este à Roger. Peut-être Ferrante de Gonzague, le protecteur du poëte, n’était-il pas étranger à cet attachement pour la maison d’Este.

Enfin le fait que dans la Jérusalem délivrée de Torquato Tasso la peinture des caractères est une des plus grandes préoccupations du poëte, prouve à lui seul combien sa manière de voir s’éloigne de celle qui régnait un demi-siècle avant lui. Son admirable poëme est surtout un monument de la contre-réforme qui s’était accomplie dans l’intervalle et de ses tendances.