Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 2.djvu/94

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du poëte à s’identifier avec la situation d’une classe d’hommes quelconque. Sans doute on avait de tout temps essayé ce procédé, mais daus une intention comique [1] ; à Florence, les chants des groupes de masques offraient même, au retour du carnaval, une occasion régulière de le faire. Mais ce qui est nouveau, c’est l‘identification du poète avec les sentiments d’un autre, et c’est en quoi la Nencia et cette canzone zingaresca forment une innovation remarquable dans la littérature.

Il faut ici constater une fois de plus que la culture a précédé l‘art. Il y a bien une période de quatre-vingts ans entre la Nencia et les tableaux champêtres de Jacopo Bassano et de son école.

Dans le chapitre suivant, on verra que les différences de naissance qui existaient d’une classe à l‘autre avaient alors perdu leur valeur en Italie. Ce qui avait beaucoup contribué à ce fait, c’est que ce pays était le premier qui eût connu à fond l‘homme et l‘humanité. Ce résultat de la Renaissance suffirait à lui seul pour mériter notre éternelle reconnaissance. On avait eu de tout temps la notion logique de l’humanité, mais sans la connaître en réalité comme elle l‘a connue.

C’est Pic de la Mirandole qui exprime les idées les plus élevées sous ce rapport dans son discours sur la dignité de l‘homme [2], qu’on peut bien appeler un des plus beaux legs de cette époque de culture intellectuelle. Pour terminer l‘œuvre de la création, Dieu a fait l‘homme, afin qu’il connût les lois qui régissent l‘univers,

  1. C’est dans cet esprit qu'on a parodié de tout temps certains dialectes, et à cette imitation a dû se joindre celle des manières des paysans. Comp. t. I, p. 193.
  2. Voir à l’appendice no 4,