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DU BUDDHISME INDIEN.


quelques fables, leur ensemble présente cependant encore, aux yeux d’un lecteur impartial, plus de caractères de vraisemblance que le récit du Karaṇḍa vyûha.

Au reste, quel que soit l’âge de cette composition, son antériorité à l’égard du poëme ne m’en paraît pas moins suffisamment établie. La forme des deux ouvrages suffit à elle seule pour trancher la question ; mais c’est malheureusement là un genre de preuves qui ne s’adresse qu’au petit nombre de personnes auxquelles les deux textes originaux sont accessibles. En comparant ces deux ouvrages, on reste intimement convaincu que le Karaṇḍa vyûha en prose est le germe du Karaṇḍa vyûha en vers. Je pourrais encore produire en faveur de mon sentiment l’argument fourni par la mention que le poëme fait d’Âdibuddha, ce Buddha suprême, invention de l’école théiste, dont on ne trouve de trace que dans les traités auxquels d’autres indices nous forcent d’assigner une date moderne, et que Csoma de Cörös a des raisons de croire postérieur au xe siècle de notre ère[1]. Comme la rédaction en prose ne parle pas d’Âdibuddha, tandis qu’il est positivement nommé dans la rédaction en vers, on pourrait dire que la première est antérieure à l’autre. Mais ce serait peut-être attacher trop de valeur à un argument négatif ; et d’ailleurs la description du corps d’Avalôkitêçvara, que la rédaction en prose donne dans les mêmes termes que le poëme, est d’un caractère assez mythologique pour faire supposer que la notion d’un Buddha divin et suprême, complément indispensable du Panthéon théiste des Buddhistes, était aussi bien dans la pensée de l’auteur du Karaṇḍa en prose que dans celle de l’auteur du Karaṇḍa en vers.

J’ajouterai encore, en faveur de mon opinion sur l’antériorité de la rédaction en prose, qu’elle est à ma connaissance la seule des deux qui ait été traduite par les interprètes tibétains auxquels on doit le Kah-gyur. La version tibétaine, qu’il serait indispensable de consulter, s’il devenait nécessaire de traduire le Karaṇḍa, se trouve dans le volume même qui renferme la traduction du Lotus de la bonne loi[2]. Les noms des traducteurs qui sont indiqués à la fin de cette version sont Çâkya prabha et Ratna rakchita ; mais rien ne nous apprend la date précise de ces deux auteurs ; et comme les traductions du Kah-gyur ont été exécutées, suivant Csoma, du viie au xiiie siècle[3], c’est dans l’intervalle compris entre l’an 600 et l’an 1200 de notre ère qu’il faut placer la version du Karaṇḍa vyûha en prose. Le texte sanscrit est nécessaire-

  1. Analysis of the Sher-chin, etc., dans Asiat. Researches, t. XX, p. 488.
  2. Csoma, Analysis of the Sher-chin, etc., dans Asiat. Researches, t. XX, p. 440.
  3. Analysis of the Dul-va, dans Asiat. Res., t. XX, p. 42.