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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

de jouir. Où aurais-tu pris le courage de t’embarquer toi-même sur le grand Océan ?

« Ces paroles piquèrent l’amour-propre de Bhavila et lui inspirèrent cette réflexion : Je m’embarquerai aussi sur le grand Océan. Les choses se passèrent comme il a été dit ci-dessus, jusqu’à ce qu’enfin il s’embarqua sur le grand Océan, et que son vaisseau fut poussé par le vent vers la forêt qui produit le bois de santal de l’espèce dite Gôçîrcha[1]. Le pilote dit alors : Voici, seigneurs, le lieu connu sous le nom de Forêt de santal de l’espèce dite Gôçîrcha ; allez-y prendre le produit qu’on y trouve.

Or, en ce temps-là le bois du santal Gôçîrcha était une possession de Mahêçvara le Yakcha[2]. Les Yakchas l’avaient quitté en ce moment pour se rendre à leur assemblée. C’est pourquoi les marchands commencèrent à abattre la forêt avec cinq cents haches. Le Yakcha nommé Apriya vit ces haches qui abattaient le bois ; et ayant reconnu le fait, il se rendit au lieu où se trouvait le Yakcha Mahêçvara ; et quand il y fut arrivé, il lui parla en ces termes : Voici ce que doit connaître le chef. Cinq cents haches abattent la forêt du santal Gôçîrcha ; fais maintenant ce que tu dois faire, ou ce qu’il te convient de faire. Alors le Yakcha Mahêçvara, après avoir congédié l’assemblée, souleva un ouragan noir et terrible, et partit pour l’endroit où se trouvait la forêt de santal. Écoutez, s’écria le pilote, ô vous marchands du Djambudvîpa : voici ce qu’on appelle un ouragan noir et terrible. Que dites-vous de cela ? À ces mots, les marchands effrayés, épouvantés, frappés de terreur, sentant leurs poils se hérisser sur tout leur corps, commencèrent à invoquer les Dieux : Ô vous Çiva, Varuṇa, Kuvêra, Çakra, Brahmâ, et vous chefs des Asuras, des Mahôragas,

  1. Il est possible que ce lieu soit l’île désignée par les cartes anglaises sous le nom de Sandelwood island (l’Île du bois de santal), située par 10° latitude nord et 120° longitude est de Greenwich, ou mieux encore Timor, île connue par la grande quantité de santal qu’on en exporte actuellement pour Java et pour la Chine. (Ritter, Erdkunde, t. V, p. 816.) Il importe toutefois de remarquer que, comme le santal dont il est ici question est certainement le meilleur, et que la première qualité de ce bois ne se trouve que dans les monts Malaya, ainsi que nous l’apprennent les légendes du Nord (Schmidt, Geschichte der Ost-Mongol, p. 332), lesquelles sont en ce point d’accord avec le témoignage des naturalistes, il faudrait peut-être ne pas aller chercher si loin le lieu où s’arrêtent nos navigateurs pour recueillir le Gôçîrcha tchanduna. Qui sait s’il ne s’agit pas seulement ici d’un voyage le long de la côte du Malabar, et d’une expédition sur les terres du Wynad ou du Coduga ?
  2. Les Yakchas, sous la protection desquels la légende place la forêt de santal, sont peut-être les sauvages habitants de l’Île de santal. Ces insulaires ont de tout temps traité en ennemis les navigateurs que le commerce ou le hasard amenait sur leurs côtes, et Walter Hamilton nous apprend que les Hollandais, vers le commencement de notre siècle, perdirent la possession de cette île, parce qu’ils coupaient les arbres de santal. Les habitants, convaincus qu’à chacun de ces arbres était attachée l’existence d’un des leurs, se soulevèrent contre les marchands hollandais et les chassèrent de l’île. (East India Gazetteer, t. II, p. 500.)