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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


était encore à peine à ses premiers débuts. L’obligation de se retirer dans la solitude des forêts, celle de s’asseoir auprès des troncs d’arbres, celle de vivre en plein air, loin des maisons et de tout autre abri, sont certainement trois règles primitives. Elles sont même contraires à l’institution des Vihâras ou monastères, qui sont cependant fort anciens dans le Buddhisme, et dont la nécessité commença de se faire sentir dès que le corps des adeptes devint plus nombreux. Une autre institution non moins remarquable est l’ensemble des règles qui se rapportent au vêtement. Le Religieux doit composer les pièces d’étoffe dont il se couvre de haillons ramassés dans les cimetières ou au milieu des ordures, et il ne peut pas posséder plus de trois de ces misérables vêtements rapiécés. Un tapis pour s’asseoir, un vase pour mendier, c’est là ce qui, avec ces trois vêtements, forme toute sa richesse. Le Brâhmane, ou plus exactement l’ascète sorti de la caste brâhmanique, portait sans doute plus loin encore le détachement, quand il vivait entièrement nu, sans songer à couvrir ce corps qu’il croyait avoir dompté ; mais il blessait un sentiment qui survit chez tous les hommes à la perte inévitable de leur première innocence. Çâkyamuni, au contraire, donna dans sa morale une grande place à la pudeur ; et il semble qu’il ait voulu en faire la sauvegarde de la chasteté qu’il imposait à ses disciples. Les légendes sont pleines des reproches qu’il adresse aux mendiants qui vont nus, et le spectacle révoltant de leur grossièreté est plus d’une fois rapproché du chaste tableau d’une Assemblée de Religieux décemment vêtus. Il est même permis de croire que la faculté accordée aux femmes d’entrer dans la vie religieuse ne fut pas sans influence sur la rigueur des injonctions relatives au vêtement. Qui eût pu tolérer la vue d’une Religieuse nue ?

Entre beaucoup d’exemples du dégoût que les Buddhistes éprouvent à la rencontre des ascètes nus, je choisis un des plus caractéristiques. « Un jour des mendiants nus se trouvaient réunis pour prendre leur repas dans la maison de la belle-mère de Sumâgadhâ, fille d’Anâtha piṇḍika. La belle-mère dit à sa bru : Ma fille, viens voir des personnages respectables. Sumâgadhâ se dit en elle-même : Sans doute on a invité des grands Auditeurs, comme le Sthavira Çâradvatî puttra (Çâriputtra), Mahâ Mâudgalyâyana et d’autres. Elle sortit donc pleine de joie et de satisfaction ; mais elle n’eut pas plutôt vu ces mendiants portant leurs cheveux en formes d’ailes de pigeon, sales, n’ayant d’autre vêtement que les souillures dont ils étaient couverts, exhalant une mauvaise odeur, nus et semblables à des Démons, qu’elle fut saisie d’un vif mécontentement. Pourquoi donc es-tu triste ? lui dit sa belle-mère. Sumâgadhâ répondit : Ô ma mère, si les personnages respectables sont ainsi faits, comment seront donc les pécheurs[1] ? »

  1. Sumâgadha avadâna, f. 2 b.