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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


arrivée dans la ville, elle se mit en devoir d’entrer dans la demeure d’Açôka. Mais ils furent arrêtés par le gardien de la porte. Cependant, on les introduisit dans l’endroit où l’on renfermait les chars du roi. Au point du jour Kunâla se mit à toucher de sa Vînâ, et à chanter comment les yeux lui avaient été arrachés, et comment la vue des vérités lui était apparue. Et il prononça cette stance :

« Le sage qui voit avec le pur flambeau de la science l’œil et les autres sens est affranchi de la loi de la transmigration.

Si ton esprit, livré au péché, est tourmenté par les douleurs de l’existence, et si tu désires le bonheur en ce monde, hâte-toi de renoncer pour jamais aux objets des sens.

Le roi Açôka entendit les chants du prince, et il dit avec un sentiment de joie :

C’est à moi que s’adressent les chants de Kunâla et les sons de cette Vînâ qu’il y a tant de temps que je n’ai entendue. Le prince est de retour dans ma demeure, mais il ne veut voir personne.

Aussitôt appelant un de ses gardes, le roi lui dit : Est-ce que tu ne trouves pas de la ressemblance entre ce chant et celui de Kunâla ? On dirait que cette exécution trahit quelque trouble. Cette voix a fortement ému mon âme ; je suis comme l’éléphant qui, ayant perdu son petit, viendrait à entendre sa voix. Va donc et amène-moi Kunâla. Le garde se rendit aussitôt dans l’endroit où l’on renfermait les chars ; il y trouva Kunâla privé de ses yeux, et dont le corps était brûlé par l’ardeur du soleil et par le vent ; mais ne l’ayant pas reconnu, il revint auprès du roi Açôka et lui dit : roi, ce n’est pas Kunâla ; c’est un mendiant aveugle qui est avec sa femme dans l’endroit où l’on renferme les chars du roi. À ces mots, le roi tout troublé fit cette réflexion : Voilà l’effet des rêves funestes que j’ai eus ; certainement c’est Kunâla dont les yeux auront été arrachés. Et il prononça cette stance :

D’après les présages que j’ai vus jadis en songe, non, il n’y a plus de doute, les yeux de Kunâla ont été arrachés.

Et fondant en larmes il s’écria : Qu’on amène vite en ma présence ce mendiant ; car mon cœur ne peut trouver de calme en songeant au malheur qui a pu frapper mon fils. Le garde étant retourné à la salle des chars, dit à Kunâla : De qui es-tu fils, et quel est ton nom ?

Açôka, reprit Kunâla, ce roi qui augmente la gloire des Mâuryas, à l’empire duquel la terre tout entière obéit avec soumission, ce roi est mon père, et mon nom est Kunâla. Mais aujourd’hui je suis le fils du Buddha, ce descendant de la race du soleil, qui a établi la Loi. Aussitôt Kunâla fut conduit avec sa femme en