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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

Ils recueillent, tout comme les hommes ordinaires, le fruit des mauvaises actions qu’ils ont commises ici-bas ; c’est en ce monde qu’on trouve la récompense de ce qu’on a fait : comment donc pourrais-je appeler l’œuvre d’un autre le traitement que j’ai éprouvé ?

J’ai commis [jadis] quelque faute, ô grand roi, et c’est sous l’influence de cette faute que je suis revenu [en ce monde], moi dont les yeux ont été la cause de mon malheur[1].

Le glaive, la foudre, le feu, le poison, les oiseaux, rien ne blesse l’éther, qui est inaltérable de sa nature ; c’est sur le corps dont les âmes sont enveloppées, ô roi, que tombent les douleurs cruelles qui le prennent en quelque sorte pour but.

Mais Açôka, dont le cœur était déchiré par le chagrin, continua ainsi : Qui donc a privé mon fils de ses yeux ? Qui donc a résolu de renoncer [pour prix de ce crime] à la vie, ce bien si cher ? La colère descend dans mon cœur dévoré par le feu du chagrin ; dis-moi vite, ô mon fils, sur qui je dois faire tomber le châtiment. Enfin le roi apprit que ce crime était l’œuvre de Tichya rakchitâ. Aussitôt ayant fait appeler la reine, il lui dit :

Comment, cruelle, ne rentres-tu pas sous terre ? Je ferai tomber ta tête sous le glaive ou sous la hache. Je renonce à toi, femme couverte de crimes, femme injuste, tout de même que le sage renonce à la fortune.

Puis la regardant avec un visage enflammé par le feu de la colère, il ajouta :

Pourquoi ne lui briserais-je pas les membres après lui avoir arraché les yeux avec mes ongles aigus ? Pourquoi ne la dresserais-je pas vivante sur le poteau ? Pourquoi ne lui abattrais-je pas le nez ?

Pourquoi ne lui couperais-je pas la langue avec un rasoir, ou ne la ferais-je pas mourir par le poison ? Tels étaient les supplices dont la menaçait le roi des hommes.

Le magnanime Kunâla, plein de compassion, ayant entendu ces paroles, dit à son père : Il ne serait pas honorable pour toi de mettre à mort Tichya rakchitâ ; agis conformément à l’honneur, et ne tue pas une femme.

Il n’y a pas, en effet, de récompense supérieure à celle de la bienveillance ; la patience, seigneur, a été célébrée par le Sugata. Puis se jetant de nouveau à ses pieds, le prince fit entendre à son père ces paroles véridiques :

Ô roi, je n’éprouve aucune douleur, et malgré ce traitement cruel, je ne

  1. Il manque un vers à cette stance, les mots placés entre crochets sont ajoutés pour compléter le sens.