Page:Burnouf - La Science des religions.djvu/260

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des deux n’avait ni le droit ni le pouvoir d’imposer à l’autre sa propre opinion. L’accession d’un troisième homme ne résolvait pas la difficulté : car, d’une part, il pouvait avoir lui-même son opinion personnelle ; et, d’autre part, le droit qui n’était pas dans les deux premiers ne pouvait leur être communiqué par un autre qui ne le possédait pas lui-même. Au fond, la pensée individuelle est inviolable, comme elle est inaccessible. Il n’y a rien dans un homme qui ne soit dans un autre ; toute la différence est du plus au moins, et il n’existe aucun tribunal qui puisse entrer dans ces profondeurs des âmes et dresser la liste des intelligences d’après leurs capacités respectives. Le droit individuel de la pensée reste entier et absolument indiscutable. Comme il est intransmissible, il est également imprescriptible et inaliénable.

Ce droit est d’autant plus entier qu’il s’applique à des matières plus abstraites et plus métaphysiques : or, aucune n’est supérieure aux doctrines religieuses. En effet, l’idée de Dieu ne se transmet pas d’un homme à l’autre comme une monnaie ; les conceptions de l’esprit sont des phénomènes individuels, qui se produisent en nous ou qui ne s’y produisent pas, mais qui échappent toujours au contrôle et à l’action d’autrui. De plus, comme il n’y a en nous que la volonté seule qui semble posséder le libre arbitre, le reste y est soumis à des lois fatales que la psychologie ancienne et moderne a constatées et définies. Aucune force humaine ne peut changer à son gré la pensée d’un homme, puisque lui-même ne le peut pas. Toute action en ce sens ne peut être qu’indirecte, et c’est uniquement en changeant les objets et les points de vue qu’on peut l’exercer mais comme l’objet de la raison pure échappe à notre prise et agit sur notre intelligence d’une manière très-simple et immédiate, l’opinion religieuse en chacun de nous